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SOUVENIRS ACADÉMIQUES

UN ARTICLE ANONYME
DE LA REVUE DES DEUX MONDES

Le numéro de la Revue des Deux Mondes du 15 mars 1840 fut très remarqué et très commenté à l’Académie des sciences. Un écrivain spirituel, bien informé, modéré dans son langage, et, en apparence au moins, impartial dans ses jugemens, dénonçait, dans une lettre sans signature sur l’Etat des sciences en France, les abus qui menaçaient l’avenir de l’Académie, signalait les influences qui la dirigeaient et les coteries qui la troublaient.

Il ne saurait y avoir un grand inconvénient, — disait l’auteur anonyme, — à répéter tout haut ce que déjà tant de personnes disent tout bas ; et, d’ailleurs, il est bon que les faits dont j’ai à vous entretenir soient constatés par un contemporain, afin que, si quelque érudit des temps futurs parvient d’ici à cent ans à découvrir dans un coin cet écrit, et s’il a le courage de le lire, il puisse y trouver l’explication des événemens qui se passent de nos jours à l’Académie des sciences, et qui ne seront consignés ni dans les éloges, ni dans les relations officielles.

C’est une véritable dénonciation, adressée à la postérité, et confiée à la discrétion des lecteurs de la Revue. L’auteur, évidemment, était un ennemi d’Arago ; le nombre en était grand, et plusieurs mois s’écoulèrent avant qu’on associât un nom aux reproches de ceux qui déclaraient l’article calomnieux et perfide. Quand le nom fut connu, — c’était Guillaume Libri, — l’indignation redoubla. Ce réfugié italien avait été accueilli comme un frère par ceux qu’il jugeait, en cachant son nom, avec une sévère et malveillante franchise. Arago, à ses débuts dans la science, avait fait pour lui « ce qu’un père ferait pour son fils » ; je copie ces mots