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se fait et les yeux se tournent vers l’entrée du cirque : c’est la procession (pompa) qui s’avance. Les jeux ayant été créés en l’honneur des dieux, il était juste qu’on leur en donnât le spectacle ; on pensait qu’ils devaient y prendre autant de plaisir que les hommes. Aussi avait-on l’habitude, au moins dans les fêtes qui se célébraient au grand cirque, de les aller chercher au Capitole. Ils arrivaient sur des chars de triomphe, escortés des magistrats et des prêtres en grand costume et faisaient le tour de la spina, pour aller prendre leur place. En province la pompa ne devait pas être aussi majestueuse qu’à Rome ; les chars y étaient moins beaux et les dieux moins nombreux, mais les Pères de l’Eglise nous disent avec indignation qu’ils n’étaient pas moins bien reçus de la foule. Chacun applaudit celui dans lequel il a le plus de confiance et dont il attend quelque faveur, Je n’ai pas besoin de dire qu’Ovide salue surtout Vénus au passage, ce qui lui donne l’occasion de murmurer quelques tendres prières. Cependant les dieux sont placés et la course commence. Ovide y prend peu de part ; il est moins occupé à la regarder et à la décrire qu’à deviner les préférences de sa voisine. Il secoue sa toge avec tant d’énergie pour encourager le cocher qu’elle favorise, il l’applaudit avec tant de fureur lorsqu’il est victorieux, qu’elle finit par être touchée de tant de complaisance, et que, « dans ses yeux caressans, le poète croit lire enfin une promesse : »


Risit et argutis aliquid promisit ocellis.


J’avoue que j’ai grand’peine à transporter les incidens de ce galant récit dans l’hippodrome de Dougga. Cette place muette, déserte comment imaginer qu’elle ait pu servir à des fêtes si gaies et si bruyantes ? J’ai eu pourtant la bonne fortune de la voir plus animée qu’elle ne l’est d’ordinaire. J’y ai assisté à un spectacle qui semblait lui rendre la vie et rappelait ceux d’autrefois. Le jour où nous l’avons visitée, les tribus du voisinage s’étaient réunies pour faire honneur au résident et à ses hôtes. Les indigènes, groupés autour des drapeaux de leurs confréries[1], occupaient la place où s’élevaient autrefois les gradins du cirque. Le milieu restait vide pour la fantasia. Le spectacle était superbe, et il avait ce mérite rare de convenir tout à fait aux lieux où il était donné. Il me semblait que ces vieux monumens, dont nous apercevions de tous les côtés les ruines, ne devaient pas être trop surpris d’y assister. Malgré la différence des temps et des hommes, que de choses encore y rappelaient l’antiquité ! Et

  1. Déjà les corporations romaines (collegia) possédaient des drapeaux que l’on portait dans toutes les fêtes publiques.