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alors les réformes auxquelles s’attardait la patience parlementaire ! Qu’était-ce qu’une meilleure répartition de l’impôt sur les propriétés bâties ou non bâties, comparée à l’impôt sur le revenu dont les socialistes cherchaient et dont M. Doumer a cru avoir trouvé la formule ? car les radicaux, comme l’a dit M. Poincaré, ont jugé ingénieux, pour reconquérir leur puissance perdue, de se mêler aux socialistes et de leur ouvrir la voie vers les réalisations parlementaires. Il en est résulté que toutes les réformes sont devenues impossibles. Pour avoir voulu trop entreprendre et trop faire, on s’est condamné à la stérilité par l’obstruction. Et déjà la législature actuelle, aux trois quarts écoulée, est menacée de se terminer sans avoir produit une seule loi qui la recommande à l’histoire, une seule réforme qui la recommande aux électeurs.

Rien de plus vrai que cette critique, sinon ce que M. Poincaré a dit dans la suite de son discours des mauvaises habitudes qu’on a laissé prendre aux députés. Il n’a pas demandé formellement la révision de la constitution : ne suffirait-il pas de l’appliquer dans son véritable esprit pour faire disparaître les abus dont tout le monde se plaint, même et surtout ceux qui en sont les premiers instrumens et les premières victimes ? Croit-on que ce soit pour leur plaisir que les députés assiègent les ministères et les administrations publiques, devenus à leurs yeux de simples bureaux de placement chargés d’assurer des places aux électeurs influens ? Non, certes : et il n’en est pas un seul qui ne gémisse des lourdes et absorbantes obligations qui, de ce chef, pèsent sur lui. Ils pousseraient tous un soupir de soulagement et de délivrance le jour où une séparation rigoureuse serait établie entre le pouvoir administratif et leur fonction toute législative et parlementaire. Ce jour viendra-t-il jamais ? Rien jusqu’ici n’en fait luire la moindre lueur à l’horizon, pas même le discours de M. Poincaré, qui a très bien décrit le mal, mais n’en a pas découvert le remède. Il a parlé de la diminution du nombre des députés. Ce serait une bonne mesure, parce que les assemblées trop nombreuses se font obstacle à elles-mêmes, et que le travail utile y est en quelque sorte en raison inverse du nombre des travailleurs ; mais la puissance politique d’une Chambre, avec les empiétemens qui en résultent dans le domaine de l’exécutif, ne tient pas au nombre de ses membres, et il ne suffirait pas de diminuer celui-ci pour amoindrir celle-là. Il ne suffirait même pas de réviser la constitution ; il faudrait réformer les mœurs, ce qui est infiniment plus difficile. Où est le gouvernement qui y parviendra ? Si M. Poincaré le sait, il aurait bien fait de nous le dire. Sur ce point, son discours a eu quelque chose d’évasif : il a posé une question, il n’a pas conclu.

Ces deux discours auront-ils quelque influence sur la session prochaine ? A parler franchement nous ne le croyons pas. D’abord, cette session n’est pas encore sur le point de s’ouvrir, et il est bien rare que l’impression produite par un discours, et même par deux, ne soit pas