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mois qu’a duré son gouvernement. Cette certitude leur suffit. A parler franchement, ce discours de Figeac, qui était attendu avec une certaine impatience, a été pour tout le monde une déception. Deux ou trois jours auparavant, à Commercy, M. Poincaré avait prononcé un discours très remarqué, véritable programme des républicains du centre. On croyait généralement qu’à ce programme net et précis, M. Bourgeois profiterait de l’occasion pour en opposer un autre. Il n’en a rien été, et ce n’est pas nous qui nous en étonnerons : tout ce que nous avons dit du parti radical montre suffisamment qu’il n’a pas, et ne peut pas avoir de programme. Il en avait un autrefois : en reste-t-il un seul article dont M. Bourgeois voudrait promettre la réalisation immédiate ? Il n’a même parlé de la révision qu’éventuellement, à la manière d’un en-cas auquel il ne fallait pas renoncer parce qu’il pourrait servir à l’occasion, mais dont il vaudrait mieux pourtant n’avoir pas à user. « La révision, a-t-il dit, n’est pas chose inévitable, nécessaire… elle le deviendra si certains yeux ne s’ouvrent pas, si certaines oreilles ne veulent pas entendre. » C’est là, il faut en convenir, rapetisser singulièrement la question. On comprendrait qu’après avoir longuement observé, réfléchi, comparé, un esprit indépendant et ferme arrivât à la conclusion qu’il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles. Mais un si grave problème doit être pris dans son ensemble, et on ne saurait trop l’élever pour le mieux résoudre. M. Bourgeois n’y voit qu’un moyen d’intimider le Sénat, comme d’autres ne voient dans la dissolution qu’un moyen d’intimider la Chambre. La révision, dit-il, est un moyen bien plus qu’un but, ce qui est vrai en un sens, mais ce qui cesse de l’être si ce moyen n’a d’autre objet que d’agir comme une férule sur la haute assemblée, et de l’amener par crainte à capituler devant les exigences du radicalisme, lequel a capitulé lui-même devant celles du socialisme. Et il en est ainsi tout le long du discours de M. Bourgeois. Il reste à côté de toutes les questions sans en aborder franchement aucune. Il n’indique ni une solution, ni même une méthode. Il serait difficile de voir autre chose dans ses paroles, sinon que M. Bourgeois a la prétention d’avoir l’âme généreuse et qu’il ne néglige aucune occasion de le proclamer. Il faut lui savoir gré de n’avoir pas ajouté, cette fois, que ses adversaires constituent le parti de l’égoïsme sans pitié ; mais cela va sans dire et résulte de la simple opposition des choses et des hommes.

On s’est un peu amusé de l’affectation avec laquelle M. Bourgeois et ses amis parlent de leur cœur, et ne parlent même pas d’autre chose. Lorsqu’on les écoute ou qu’on les lit, on se croirait reporté à la sensiblerie du dernier siècle, qui a été d’ailleurs le prélude de si impitoyables catastrophes. Nous sommes convaincus que M. Bourgeois a un excellent cœur, et qu’il se trompe seulement lorsqu’il s’imagine être le seul dans ce cas ; mais on disait autrefois qu’un homme d’État devait avoir