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Les sultans soudaniens qui se réclament de son nom ont l’amour de la rapine, et ils croient lui être agréables en s’emparant du bien des infidèles. Ils ressemblent fort peu à ces très honnêtes musulmans, qui ont le cœur droit et toutes les vertus d’un bon chien. Ces renards artificieux, grands dévastateurs de poulaillers, joignent à l’humeur pillarde la perception confuse, mais très juste de beaucoup de choses, et ils ne manquent pas de génie ; ils n’en sont que plus pervers : il est difficile à l’Africain d’acquérir des idées sans perdre des scrupules.

Heureusement l’islamisme s’entend mieux à créer qu’à conserver ; ces empires musulmans sont des créations éphémères. Celui que fonda Omar-Al-Hadji a disparu comme le ricin qui ombragea la tête du prophète Jonas et se flétrit en une nuit, séché par un ver. « L’anarchie est le mal endémique de l’Islam, Ismaël dresse toujours sa tente à l’encontre de celle de son frère. » Les sultans disparaissent, mais les fétichistes convertis n’oublient pas de prier et de lire le Coran : l’Islam n’est pas une église gouvernée d’en haut, c’est une foi qui a tant de prise sur les cerveaux que, lorsqu’elle y est entrée, elle n’en sort plus. Nous ne pouvons nous dissimuler que nous avons en Afrique d’incommodes voisins, que nous sommes appelés à les surveiller sans cesse, mais que nous devons les ménager. Nous avons fait de brillantes campagnes, dont le résultat a déçu notre attente. Nous en avons fini avec Ahmadou ; mais que de fois nous a-t-on assuré que Samory était détruit, et il est plus vivant que jamais ! Il nous l’a prouvé. Nous songeons désormais à nous accommoder avec lui ; peut-être eussions-nous mieux fait de commencer par là. Ne nous brouillons pas avec Mahomet, et pour avoir raison de lui, comptons sur notre diplomatie plus que sur nos canons : la plus dangereuse des erreurs est de croire à la faiblesse des forts.

Prompts à entreprendre, prompts à nous rebuter, nous sommes disposés à croire les choses plus faciles qu’elles ne sont, et leurs résistances nous étonnent. On peut nous excuser de n’avoir pas pris Samory au sérieux, nous avons commis un plus gros péché en nous faisant si longtemps de grandes illusions sur les Arabes d’Algérie. En 1865, M. Delangle, chargé de rédiger le rapport sur le sénatus-consulte, écrivait : « Le moment n’est pas loin où une population, chez qui le sentiment de l’honneur est ardent, ressentira un légitime orgueil à partager sans restriction les destinées d’une nation qui tient dans le monde civilisé une si grande place. » M. Delangle n’avait pas étudié de près l’orgueil musulman ; il ne se doutait pas qu’un Arabe révère moins notre civilisation qu’un seul poil de la barbe d’un de ses marabouts ; mais il y a des choses qu’on n’apprend qu’en sortant de chez soi, et il y a des hommes qui, même en voyageant, ne sortent jamais de chez eux. « Un peu de patience ! disons-nous aujourd’hui sur un ton plus modeste ; avec le temps les Arabes deviendront des sujets loyaux et