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confinés dans leur poste, ignorent à deux kilomètres à la ronde la topographie même du pays qui leur est soumis ?

Les procédés d’exploitation, — main-d’œuvre, application des forces naturelles, — se ressentiront à la Côte d’Ivoire de l’impossibilité de s’assurer des bras sur place et du peu de puissance de ces mêmes élémens que l’industrie tire de l’eau et de l’air. Si le premier défaut du noir de Guinée est son incurable ivrognerie, le second est assurément son insurmontable paresse. Au reste, c’est une règle presque sans exceptions, que le nègre africain ne travaille pas dans le pays qui lui a donné le jour ; il est de toute nécessité de l’exporter. Ainsi l’Agni de la Côte d’Ivoire ferait peut-être au Congo un manœuvre passable : en terre natale, même, il faut renoncer à l’employer. On le remplacera aisément, il est vrai, par des Sénégalais ou des Sierra-Léonais, qui ont déjà fourni à maintes reprises chez nous des services appréciables. Le Sénégalais, malheureusement, par la conscience de sa supériorité sur le Bushman, l’homme de la brousse, est porté envers celui-ci à une brutalité dont il faut trop souvent réprimer les manifestations. Rien ne saurait rendre le dédain, l’incommensurable mépris du Yolof ou du Sérère, qui se croit aussi Français qu’un Parisien de Paris, vis-à-vis de son congénère de la côte de Guinée. La milice indigène, recrutée parmi les Sénégalais mahométans, a souvent motivé, par ses excès, les justes réclamations de la population indigène. Le Sierra-Léonais au contraire, le Sherbro, comme on l’appelle plus couramment, est d’intelligence aussi compréhensive que le Sénégalais, très laborieux au reste, ivrogne sans doute, mais à ses heures. Un peu dépaysé hors de chez lui, il est naturellement porté à une réelle docilité envers l’Européen qui est sa sauvegarde, son paravent en pays étranger. Le Sherbro se paye 1 shelling par jour, nourriture comprise, et l’on peut se l’assurer par traité pour des périodes assez longues. L’Agni ne travaillerait pas, et Dieu sait quel travail il fournirait ! — à moins de 1 fr. 50 par jour. On regagnera donc très rapidement, sur la différence des salaires, le passage de ces Sherbro qui s’élève à 20 francs environ.

La paresse, la mauvaise foi et l’imprévoyance des noirs rendront toujours impossible en Guinée ce système du métayage qui a donné parfois de bons résultats en d’autres endroits, notamment en Tunisie. Le planteur devra donc se trouver lui-même sur les lieux, quitte à s’entourer de bons contremaîtres noirs. Les missions bâloise et wesleyenne de la Côte d’Or forment depuis longtemps des sujets, Fantis d’origine généralement, susceptibles de rendre dans ce rôle d’excellens services.

Quant aux forces naturelles, nous avons déjà malheureusement