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contentent de vivre obscurément, muets et ignorés, dans une médiocrité heureuse ? Il n’y a nulle crainte à éprouver, certes, qu’ils se compromettent jamais. Comme le sage de Lucrèce, ils regardent de la rive, sans s’y mêler, la tempête coloniale. Aussi toutes les réclamations, toutes les protestations, toutes les demandes, toutes les sollicitations, en un mot, de prendre parti, sont-elles vouées d’avance et d’office à un enterrement de première classe sous les linceuls verts de ces cartons si soigneusement étiquetés. N’est-ce pas d’ailleurs, au fond, une constatation officielle de l’impuissance de ces bureaux et dont eux-mêmes devraient ressentir la honte, que la création et le développement, parallèlement au ministère d’Etat, d’une Union coloniale française, sorte de ministère privé destiné à venir en aide à l’autorité défaillante, à suppléer l’initiative discréditée, à assurer le service débordé, anarchique, de l’administration gouvernementale ?


III

Les voies de pénétration à l’intérieur de la Côte d’Ivoire sont encore, — nous en avons touché quelques mots tout à l’heure, — très imparfaites, très insuffisantes. Il ne faut pas croire pourtant que ces élémens, si rudimentaires qu’ils soient, de communication, ne puissent être, dans une certaine mesure, perfectionnés. Les lagunes qui constituent, en quelque sorte, de larges fleuves parallèles à la côte, sont, de bout en bout, navigables, suivant un chenal naturel irrégulier et sinueux qu’il serait très facile de baliser. Il est même à peine croyable que ce travail si simple et si peu coûteux n’ait pas encore été accompli pour la grande et belle lagune Aby, par exemple, que deux barres de sable avec passes praticables obstruent à ses deux extrémités, l’une à l’embouchure de la rivière Bia, l’autre à la sortie de la rivière d’Assinie. C’est à peine si la lagune Tendo, la lagune Ehy, la lagune Ébrié, plus profondes, auraient besoin de ces pieux indicateurs.

Quant à la navigation des rivières, elle comporte des obstacles de deux sortes : les rapides d’abord, ensuite la diminution du volume de leurs eaux dans le bief supérieur, à la saison sèche ; accessoirement enfin, les troncs d’arbres plus ou moins volumineux, plus ou moins garnis de branches, tombés en travers de leur cours et qui l’embarrassent quelquefois d’une manière presque complète, d’une défense naturelle insurmontable. Il est vraisemblable qu’on n’arrivera pas avant longtemps à se frayer un chemin dans les rapides vraiment infranchissables. Les chutes d’Aboiso sur la rivière Bia, les rapides de Dabiabosson et d’Amenvo sont