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autres maisons de la côte s’y livraient également ; l’une d’elles même, la maison anglaise Swanzy, qui a les plus gros intérêts de toute la côte et les plus puissantes ramifications parmi les indigènes, put, prévenue à temps, neutraliser en partie le préjudice que l’établissement de ce monopole devait lui porter, en accaparant hâtivement tout l’acajou abattu dans la brousse les mois précédens.

Malheureusement l’exploitation de l’acajou lui-même est destinée à péricliter fatalement dans un avenir très prochain si d’autres facteurs de réussite n’entrent pas d’ici là en jeu. Comme la bataille finit faute de combattans, le trafic de l’acajou finira faute d’acajous, au moins faute d’arbres situés dans le rayon d’atteinte de la main-d’œuvre et du transport. Car, en notant incidemment tout à l’heure que le cours des rivières et des lagunes, demeure, quant à présent, le seul procédé de déplacement que les billes puissent utiliser pour se rendre de leurs forêts natales aux points d’embarquement, nous avons par-là même indiqué nettement les conditions de leur exploitation. On ne peut songer, en effet, à les débiter dans la forêt même puisqu’il n’existe pas-encore de scieries sur place, — celle que M. Camille Dreyfus installe en ce moment se trouve à Mouoso à deux kilomètres seulement de Grand-Bassani ; — pour qu’on puisse véhiculer les pièces de bois à la côte, il faut donc que le cours des fleuves veuille bien le permettre : c’est ainsi que les rivières à rapides ne sont utilisables à cet effet que sur la longueur de leur bief libre, telles le Comoé, jusqu’à Aleppé (45 kilom.), le Bandama. jusqu’à Ahuacré aux eaux basses, jusqu’à Thiassalé aux eaux hautes (40 ou 60 kil.), le Sassandra et le San Pedro sur une cinquantaine de kilomètres, le Cavally sur une soixantaine. C’est ainsi également que le Tanoé traversant une formation schisteuse plus friable que les gneiss et les diorites du Comoé et du Bandama et s’étant, par une brèche de plus de vingt lieues à travers les roches, frayé un cours libre de plus de 200 kilomètres, en tenant compte de ses innombrables méandres, est devenu tout naturellement, avec les grandes lagunes qui le continuent, l’axe de l’industrie des bois à la Côte d’Ivoire. Et comme Assinie est le poste maritime le plus voisin, c’est ce point qui en est tout naturellement devenu la tête de ligne. Pendant la saison sèche, les noirs libres ou les travailleurs embauchés par les maisons de commerce, se rendent dans la forêt et coupent à petites journées tous les arbres qu’ils peuvent rencontrer et abattre avant les crues dans le rayon d’inondation des hautes eaux. Le déluge arrive, envahit la plaine forestière sur une largeur parfois de deux à trois lieues ; les acajous se