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La troisième grande exploitation à laquelle la Côte d’Ivoire convie les intelligences et les capitaux européens est l’industrie des bois. Cette forêt de Guinée dont nous avons déjà parlé à différentes reprises, renferme des arbres de toutes essences, de toutes résistances, de toutes densités ; nos latitudes tempérées ne sont pas seules à donner à la cellule le degré de cohésion, de dureté et de ténacité voulu. Sur les 120 espèces de bois laborieusement cataloguées et recueillies au prix des plus courageux efforts par M. l’administrateur Pobéguin, le nombre des espèces dures l’emporte de beaucoup sur celui des tendres. Il convient même de noter que les plus beaux de ces arbres sont généralement d’une densité telle qu’elle leur enlève la faculté de flotter, en interdisant ainsi complètement l’exploitation, puisque le cours des rivières est, quant à présent, la seule voie de transport des billes abattues, à la côte. Quel dommage cependant et quelles splendides charpentes ne tirerait-on pas de ces géans à la libre indestructible, qui, en l’absence de vent et, dans une montée jalouse vers l’air et la lumière, cherchant tous à la fois à se surpasser de leurs cimes, ont poussé droits et majestueux comme les colonnes d’un péristyle ! A côté de ces bois d’une texture trop dense et dont l’un, le macoré, pour ne citer que lui, pourrait rivaliser avec les plus belles essences du Venezuela et des Guyanes, d’autres, parfaitement flottables, sont déjà exploités ou pourraient l’être. En fait, le seul qui soit dès aujourd’hui un élément appréciable du commerce de la Côte, est l’acajou, ou plutôt l’arbre qu’à Assinie on désigne sous ce nom et qui n’est, pour tout dire, que le faux acajou, l’acajou femelle de l’industrie, — la véritable cédrélacée qui donne le bois rouge bien connu et qui existe d’ailleurs parfaitement en Guinée, la Swietenia Mahagoni, rentrant dans la première catégorie des essences trop pesantes pour être transportées par la voie fluviale. Le faux acajou, qui est loin, d’ailleurs, d’atteindre la valeur marchande du vrai, est exploité à la Côte d’Ivoire depuis une douzaine d’années déjà. C’est le traitant noir Richmond qui, le premier, songea à en faire un objet de trafic ; la ténacité de ses essais, malheureux au début, lui valut d’entrer enfin dans une période de réussite ; quelques années après, quand le succès parut certain, la maison Verdier, aujourd’hui Compagnie de Kong, s’adonna à son tour à cette nouvelle branche de commerce.

Lorsqu’elle obtint le monopole de l’exploitation des bois sur l’espace compris entre le Bandama et le Tanoé, c’est-à-dire sur la moitié environ de la Côte d’Ivoire, monopole qui a provoqué à la Chambre le retentissant débat que l’on sait, presque toutes les