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Seraient-ce les premiers symptômes d’une émigration prochaine de bras et de capitaux sollicités par l’or, qui feront en retour, à coup sûr et presque involontairement, la prospérité de la Côte d’Ivoire ?

Immédiatement après le précieux métal, les plantations paraissent devoir constituer pour notre colonie la plus constante et la plus sérieuse source de sa richesse. Ce sol, perpétuellement humide et chaud, est, à n’en pas douter, un milieu de prédilection pour le végétal. On n’a, si l’on veut s’en rendre compte, qu’à considérer un instant cette magnifique forêt de Guinée, auprès de laquelle nos futaies du Bas-Bréau ne sembleraient guère que de maigres taillis, sans énergie et sans sève ; c’est en se promenant sous ce dais continu de feuillages solennels, étalés à cent pieds au-dessus de votre tête, et projetant sur le sol l’ombre diffuse et mystérieuse d’une cathédrale dont les fûts droits et gigantesques de tant d’arbres centenaires seraient les piliers ; c’est en sentant constamment sous vos pieds la fraîcheur et la fermentation de la terre qui embrasse instantanément l’arbre abattu par les ans pour le décomposer aussitôt et créer des vies nouvelles de sa pourriture et de son humidité, qu’on se rend compte de la puissante et éternelle vitalité de cette nature, de ce grand Pan si prompt à pétrir, à absorber tout ce qui languit, tout ce qui succombe, à refaire, sans s’arrêter jamais, de l’existence et de l’énergie avec de la mort.

On peut dire que toutes les productions végétales se développent à souhait sur cette terre de Chanaan, où la graine que la main laisse tomber, le pépin qui s’échappe du fruit mûr, le léger et soyeux parachute que le vent emporte, germent spontanément là où le hasard les a fait s’abattre.

Ainsi nos légumes d’Europe se sont fort bien acclimatés là-bas ; des choux y ont acquis un développement superbe, l’oseille a prospéré tout comme l’igname et le mil autochtones, des radis monstrueux ont poussé entre le manioc et la patate de la brousse ; nous avons nous-même confié au sol quelques pommes de terre et au moment de notre départ, un rameau vert s’échappait du petit tumulus : si cet humus accueille ainsi les plantes exotiques qu’on le charge de nourrir, de quelle sollicitude ne doit-il pas entourer, à plus forte raison, celles dont la nature a doté spontanément les pays chauds ? Parmi celles-ci, le café doit être cité au premier rang. La maison Verdier, avec sa plantation d’Elima qui représente jusqu’ici l’effort le plus sérieux et le plus intéressant qu’on ait accompli en matière d’exploitation à la Côte d’Ivoire, a fait une expérience d’une portée considérable en