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lui, juif, en plein pays anglo-saxon, le socialisme chrétien.

Les Trades Unions, elles, laissèrent de côté la politique ; elles ne s’occupèrent que des intérêts professionnels. Hausser le taux des salaires, diminuer le nombre des heures de travail, elles n’avaient pas d’autre but ; la grève, avec quelques assaisonnemens, comme le picketing, et parfois, pendant la période ténébreuse qui précéda la reconnaissance légale, avec les explosions et les meurtres commandés, elles n’avaient pas d’autres moyens. Résolument terre à terre, elles écartaient, non pas la révolution, mais l’idéalisme ; elles se défiaient, non de la force, mais de la solidarité. Campées dans la société moderne, non en ennemis du capitalisme, mais en bandes qui demandaient au capital part à deux, elles se piquaient d’être trop pratiques pour s’embarrasser de ces questions oiseuses de pure théorie à la contemplation desquelles se laissaient hypnotiser leurs camarades du continent. De plus, anglaises à fond, de tempérament peu cosmopolite, peu portées vers la fraternité des peuples. Enfin, de par leur recrutement, une manière d’aristocratie ouvrière. L’artisan supérieur seul, le skilled labourer, l’ouvrier d’élite, dont la longue préparation ou dont l’adresse native est un capital, ceux-là seuls s’unissaient. Pour le journalier, celui qui n’a que ses bras et qui s’en va, de-ci de-là, les offrir au rabais, cette poussière sociale était condamnée à l’état atomique à perpétuité. On les croyait incapables de discipline, de prévoyance, d’esprit d’entente. Aussi bien pendant longtemps les Trades Unions furent-elles la meilleure sauvegarde de l’Angleterre contre l’invasion du socialisme. Ce n’est que peu à peu qu’un double mouvement, extérieur et intérieur, en a radicalement transformé la composition et l’esprit. Le néo-unionisme est un phénomène tout récent et dont l’importance historique ne s’est que tardivement révélée aux observateurs superficiels. Il date de la grande grève des docks de la Tamise en 1889. Ç’a été l’irruption, dans les cadres de l’armée régulière du travail, des irréguliers, des indépendans, de ce que John Bright appelait le résidu social.

En même temps, soit conviction, soit tactique, la grande majorité des Trades Unions se ralliait au programme socialiste. Ce qui était fiction pure il y a trente ans, quand un orateur au premier Congrès de l’Internationale proclamait que huit cent mille unionistes anglais s’étaient enrôlés dans le mouvement, est devenu une vérité depuis lors. Le Congrès annuel des Trades Unions vote, non seulement les mesures pratiques, sagement conçues, habilement rédigées, que son comité parlementaire a pour mission de faire adopter par les Chambres, mais encore des