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Ghazi Mouktar-Pacha, conformément au traité de Berlin dont l’article 23, premier paragraphe, est ainsi conçu : « La Sublime Porte s’engage à appliquer scrupuleusement dans l’île de Crète le règlement organique de 1868, en y apportant les modifications qui seraient jugées équitables. » Les termes de cet article étaient, comme on le voit, assez vagues ; ils ne semblaient pas engager à grand’chose le gouvernement ottoman ; toutefois celui-ci a cru devoir donner une satisfaction au moins apparente à l’opinion crétoise, et il s’est empressé de concéder, sous forme de firman, la convention d’Halepa. On a dit à tort qu’elle obligeait le gouvernement impérial à nommer en Crète un gouverneur chrétien ; cela n’est pas exact. La convention, après avoir simplement confirmé le statut organique de 1868, tant en ce qui concerne la nomination du gouverneur qu’en ce qui concerne l’élection de l’Assemblée générale et la durée de ses sessions, s’exprime comme il suit : « Si, dans la suite, il y avait à faire des modifications de nature à suppléer à l’insuffisance des règlemens en vigueur et réclamés par les besoins d’un intérêt purement local, l’Assemblée générale aura le droit de soumettre à l’approbation de la Sublime Porte les modifications qu’elle aura arrêtées à la majorité des deux tiers des voix. » La convention entre ensuite dans des détails assez compliqués sur l’administration politique, judiciaire, policière même de l’île, et plus particulièrement sur son administration financière ; mais ce qu’il importe surtout de retenir, c’est que l’Assemblée générale avait le droit d’exprimer des vœux et de les soumettre à la Porte. Si l’assemblée avait fonctionné normalement, si elle avait pu émettre des vœux au fur et à mesure que le besoin de réformes se serait fait sentir, si enfin la Porte avait tenu compte des désirs qui lui auraient été notifiés sous une forme légale, peut-être le jeu régulier de cette soupape de sûreté aurait-il empêché de se produire les explosions révolutionnaires. Mais il n’en a rien été. La convention d’Halepa est restée lettre morte. Depuis de nombreuses années déjà, l’assemblée générale ne s’est pas réunie, et on n’a même pas renouvelé par des élections les pouvoirs de ses membres. En un mot, les choses ont continué de marcher à peu près comme auparavant, c’est-à-dire fort mal, sans que le mécontentement de l’opinion ait pu se manifester autrement que par la révolte finale. Il fallait donc revenir au pacte d’Halepa, et en faire une vérité : le sultan s’y est engagé. En même temps il a nommé un gouverneur chrétien, Georgi Berovitch, précédemment gouverneur de Samos ; mais il a laissé Abdullah-Pacha à la tête des troupes, et comme Abdullah-Pacha a un grade supérieur à celui de Gorgi Berovitch, et que, de plus, dans des circonstances où la force continue fatalement de jouer un grand rôle, il est resté maître de l’armée, on a pu contester la valeur, et, dans une certaine mesure, la sincérité de la concession faite par