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sauvera peut-être encore une fois en exécutant les réformes promises. C’est le meilleur conseil que ses amis puissent lui donner.

Ceci dit, il serait injuste de ne pas reconnaître que le sultan Abdul-Hamid a paru, dans plus d’une circonstance, se rendre parfaitement compte des nécessités de la situation. On l’a souvent attaqué, et même maltraité dans des discours publics. La vérité est qu’avec ses défauts et ses qualités, il est en somme un des souverains les plus sérieux, les plus appliqués, les plus consciencieux que la Turquie ait eus depuis longtemps. Sans doute, il n’a pas encore fait tout ce qu’il est permis d’attendre encore de lui ; mais on lui a tenu médiocrement compte de ce qu’il avait déjà fait, et on lui a demandé quelquefois plus qu’il ne pouvait faire. L’Europe, dans les revendications qu’elle lui adresse, a une tendance à faire abstraction des résistances qu’oppose à l’esprit de réformes le vieil élément ottoman. Cette tendance est naturelle de sa part, mais il est naturel aussi que le sultan cède dans une certaine mesure à la tendance contraire. On oublie trop qu’il n’est pas seulement un souverain temporel, mais encore un chef religieux, et beaucoup de choses qui nous paraissent négligeables ont pour lui une importance à laquelle il n’a pas toujours la possibilité de se soustraire. L’évolution, en Orient, obéit à des lois particulières. L’Europe a raison de poursuivre et de presser le sultan jusqu’au bout de ses résistances ; mais elle manquerait de cette intelligence historique et psychologique qui s’est si heureusement développée en cette fin de siècle, si elle ne comprenait pas ces résistances, et on a dit que comprendre c’était excuser. Il y a, il doit y avoir un mouvement alternatif d’action et de réaction de l’Occident sur l’Orient et de l’Orient sur l’Occident, et c’est finalement le premier qui est appelé à vaincre ; mais l’un est aussi légitime que l’autre. La politique atteint rarement du premier coup des résultats complets : si elle les atteint trop vite, le plus souvent ils ne sont pas durables.

Nous avons dit que le sultan était entré dans la voie des concessions, bien qu’il ne l’ait pas encore parcourue tout entière. Dès les premiers jours, en effet, les insurgés crétois ont résumé en quatre points leurs principales revendications. Cela leur a été d’autant plus facile qu’ils se sont constitués tout de suite à l’état de gouvernement, ou, si l’on veut, de contre-gouvernement : c’est ce qu’on appelle l’Épitropie des réformes, car le vocabulaire ici est tout antique, et lorsqu’on suit les phases que les événemens traversent, on se croit toujours dans le jardin des racines grecques. Le comité qui, pendant l’hiver et le printemps derniers, a préparé l’insurrection, en a dès le premier jour pris la tête, et, au milieu d’événemens militaires si confus qu’il faut renoncer à les démêler, il est resté maître d’une partie de l’île, notamment du district de l’Apokorona. C’est de là qu’il dicte ses volontés.