ailleurs, il y a parmi les amis de M. de Goncourt des écrivains parfaitement incapables de vendre leur plume pour de l’argent ou de trahir leur conscience pour un bout de ruban. C’est vraiment pousser trop loin ou trop généraliser le mépris de nous-mêmes que d’affecter la surprise et une sorte de respect religieux parce que nous avons trouvé dans nos rangs un homme intègre ! — Le dévouement à une cause s’apprécie par les sacrifices qu’on s’impose pour la servir. Nous aimerions à savoir quels sacrifices a jamais coûté à M. de Goncourt son culte pour les lettres. S’il n’était pas riche, du moins avait-il une petite aisance. Je ne songe guère à la lui reprocher, et j’aurais bien plutôt honte d’aborder de pareilles questions, si je n’étais forcé d’en parler après tout le monde. C’est donc qu’il n’a pas connu cette gêne des débuts et qu’il n’a pas vu se dresser devant lui cette redoutable question d’argent à laquelle se sont heurtés d’abord presque tous les écrivains maintenant en renom. Certes il se faisait illusion sur la valeur de ses collections ; encore est-il vrai que sa « maison d’artiste » n’avait pas la modestie du petit appartement où sont morts un Jules Simon après un Guizot, un Leconte de Lisle après un Barbey d’Aurevilly, et après tant d’autres. Il n’était pas de grande famille ; mais il était d’une famille bien posée ; il était né « du monde » ; il a ignoré ces petites humiliations qu’aujourd’hui comme au temps de La Bruyère le monde réserve à ceux qui n’en sont pas et qui n’ont pour eux, à défaut de titres ou de situation de famille, que leur mérite personnel. Il n’a pas eu même à vaincre cette opposition de parens timorés que les débutans rencontrent parfois au seuil de la carrière des lettres. Il était laborieux ; et quand il aurait pu n’être qu’un oisif, amateur de bibelots, il préféra s’occuper. Cela est très louable. Il rêvait de faire des livres. C’est un goût dont il ne faut pas trop médire, quoiqu’il se soit bien vulgarisé. Encore ne faut-il pas aller jusqu’à croire que, parce que nous avons choisi ce genre d’occupation, cela suffise à nous mettre en dehors et au-dessus du reste de l’humanité. M. de Goncourt en fut toujours convaincu. — Veut-on savoir par quoi il se distingue de beaucoup de ses confrères qui ne furent ni moins probes ni moins désintéressés que lui ? c’est par l’étalage qu’il a fait de l’estime où il était de lui-même. Il a pontifié son désintéressement d’une façon tout à fait particulière. Il était d’un pédantisme insupportable.
Le culte des lettres est une belle chose ; à condition toutefois que ceux qui s’y consacrent soient satisfaits par la jouissance qu’ils trouvent à en célébrer les rites. Cette jouissance d’écrire, d’exprimer des idées, de traduire des sentimens, de créer des êtres et de vivre avec eux par l’imagination, M. de Goncourt ne l’a pas éprouvée. Il n’a connu que le mal d’écrire, les lassitudes, les désespoirs, les hontes de soi et de son impuissance, la torture de creuser dans une cervelle qui sonne creux.