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Heureusement, depuis 1650, le consul d’Alger avait été secondé dans ses fonctions par un prêtre éminent de Saint-Lazare, Philippe Le Vacher, frère puîné de Jean Le Vacher, que nous avons trouvé vicaire, puis consul à Tunis. Né, comme Jean, à Ecouen, Philippe avait devancé Jean dans l’étude de la théologie. Les deux frères, unis d’une étroite affection, étaient entrés le même jour à Saint-Lazare de Paris ; ensemble ils avaient prononcé leurs vœux ; ensemble ils avaient reçu le sacrement de l’ordre. Philippe avait fait sa première campagne de missionnaire en Irlande (1646-1649). C’est de l’ancienne « lie des Saints » ou lona qu’il fut rappelé par saint Vincent pour amener du renfort au poste d’Alger, privé coup sûr coup de ses trois premiers prêtres ; on lui fit donner par le Saint-Siège le titre de « missionnaire apostolique et grand vicaire de Carthage. »

Il y avait grand besoin à Alger d’un prêtre austère et énergique ; car la population chrétienne y soutirait d’un mal plus grave que les rigueurs de la servitude : les esclaves, les prêtres eux-mêmes étaient gagnés par la lèpre morale du monde musulman, la polygamie ; et les Mémoires de la Congrégation nous disent que « les musulmans blasphémaient le nom de Dieu, à cause de l’inconduite des prêtres esclaves. »

Philippe Le Vacher entreprit, avec l’ardeur de sa foi et l’impétuosité de ses vingt-huit ans, de rétablir les bonnes mœurs dans le clergé catholique et y réussit dans une large mesure. Non content de relever des prêtres déchus et de racheter des esclaves, Philippe voulut encore ramener des renégats et convertir des musulmans. Ce zèle indiscret était à la fois contraire aux instructions formelles des papes[1] et à la prudence de saint Vincent de Paul :


Vous n’êtes point chargé des âmes des Turcs et des renégats, lui écrit-il, en décembre 1650, évitez-les donc. Votre mission ne s’étend qu’aux pauvres chrétiens captifs. Il est plus important d’empêcher que plusieurs esclaves ne se pervertissent que de convertir un seul renégat.


Et il termine par ces paroles dignes d’être méditées par quiconque entreprend une œuvre de charité : N’allez pas trop vite, de peur de tout gâter. Le bien que Dieu veut, se fait quasi de lui-même, sans qu’on y pense. Digne fils de saint Vincent de Paul, Philippe avait une prédilection pour les petits et les abandonnés, il ne pouvait voir un enfant réduit en esclavage, sans être remué

  1. Le Saint-Siège avait interdit à tous chrétiens, clercs ou laïques, de provoquer les musulmans à discussion et refusait même le titre de martyr à ceux qui s’attireraient la mort en déclamant contre Mahomet.