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de Tunis à Louis XIII (16 mai 1631)[1] dut ranimer son désir de venir en aide aux esclaves de Barbarie ; le roi de France, qui avait été touché, lui donna 9 000 à 10 000 livres pour cette œuvre, mais ce n’était pas assez.

Quelques années après, la mission d’Afrique fut définitivement assurée par deux donations, l’une de Mme d’Aiguillon, qui se montait à 45 000 livres en principal, et l’autre de 30 000 livres d’un bourgeois de Paris qui ne voulut pas être nommé.


D’après la première donation[2], les prêtres de la Mission étaient tenus d’employer le revenu de ladite portion à entretenir à Alger, Tunis et autres lieux de barbarie, un prêtre de leur Compagnie, afin d’y exercer leur ministère auprès des pauvres esclaves. L’intention de la duchesse était d’honorer Jésus-Christ venu en terre pour tirer les hommes de la misère du péché et les réconcilier à Dieu, qui les a rachetés par le sang et la mort de son Fils. Les messes que lesdits prêtres diraient auxdits lieux pour catéchiser et instruire les esclaves, devaient être dites pour le repos de l’âme du grand cardinal de Richelieu son oncle et pour les parens et amis de la duchesse et pour le repos de son âme.


Saint Vincent de Paul avait, enfin, les ressources pour réaliser son projet ; mais il fallait encore qu’il assurât à son œuvre, à défaut du prestige qu’elle ne pouvait avoir à ses débuts, le concours des consuls de France à Alger et à Tunis. Or ces charges furent vénales jusqu’en 1669, — époque où Colbert les rattacha au domaine, — et les consuls de ce temps, préoccupés avant tout de s’enrichir le plus vite possible, n’avaient cure de se mettre en frais pour les esclaves. Saint Vincent de Paul a raconté lui-même, dans sa lettre à M. de la Haye Vantelay, ambassadeur du roi de France dans le Levant, comment il fut amené à acheter les deux consulats ci-dessus[3] :


Peut-être, Monseigneur, trouverez-vous étrange que des prêtres qui se sont donnés à Dieu, comme nous, pour instruire le pauvre peuple de la campagne et porter l’état ecclésiastique à la vertu, se mêlent d’une affaire temporelle. Je vous dirai à cela, Monseigneur, qu’ayant entrepris depuis six à sept ans d’assister les pauvres chrétiens esclaves de Barbarie, il a fallu, pour faciliter cette bonne œuvre, que, du commencement, ils se soient mis en pension auprès des Consuls, en qualité de chapelains, de peur qu’autrement les Turcs ne leur permissent pas les exercices de la religion. Mais, le consul étant mort, le dey ou pacha commanda à un prêtre de la mission d’exercer cette charge, à l’instance que lui en firent les marchands français. (Lettre du 25 février 1654.)

  1. V. Archives des affaires étrangères, Correspondance avec les consuls de France à Tunis.
  2. Actes passés les 31 décembre 1646 et 16 mai 1647, par Mes Gallion et Richer, notaires, au Châtelet de Paris.
  3. En outre, les prêtres de Saint-Lazare organisèrent une sorte de service de correspondance entre les esclaves et leurs familles, qui étaient très souvent sans nouvelles.