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XVIIe siècle, hélas ! ce beau zèle était bien refroidi ; les Trinitaires, oublieux de l’article fondamental de leurs statuts, ne consacraient plus qu’une somme insignifiante au rachat des captifs[1]. De sorte que saint Vincent de Paul pouvait écrire, en 1654, que « les religieux avaient discontinué leurs rédemptions depuis tantôt dix ans. » Chez les Pères de la Mercy régnait aussi le plus grand désordre.

C’est à saint Vincent qu’il était réservé de reprendre la tâche, de concevoir l’office de la mission chrétienne dans les bagnes de Tunisie et d’Algérie dans toute son ampleur et de l’exécuter avec toute la perfection d’une charité égale à celle des apôtres. Mais, laissons-le définir lui-même cette tâche, comme il l’entendait :


L’œuvre des esclaves, dit saint Vincent de Paul, a été estimée si grande qu’elle a donné lieu à l’institution de quelques saints ordres dans l’esprit de Dieu, et ces ordres ont toujours été très considérés ; par exemple, les Pères de la Rédemption des captifs, qui vont de temps en temps racheter quelques esclaves et puis s’en retournent chez eux.

Néanmoins il me semble qu’il y a quelque chose de plus en ceux qui non seulement s’en vont en Barbarie pour contribuer au rachat de ces pauvres chrétiens, mais, outre cela, y demeurent pour vaquer en tout temps à ce rachat et pour assister à toute heure, corporellement et spirituellement, ces pauvres esclaves, enfin, pour être toujours là prêts à leur prêter la main et à leur rendre toute sorte d’assistance et de consolation dans leurs misères…. Y a-t-il œuvre plus rapportante à ce qu’a fait Notre-Seigneur lorsqu’il est descendu sur la terre pour délivrer les hommes de la captivité du péché et les instruire par ses paroles et ses exemples ? Voilà le modèle que tous les missionnaires doivent suivre !


On trouve dans les lettres écrites par saint Vincent de Paul, au début de l’année 1643, les premières lignes d’un plan de mission auprès des esclaves d’Afrique :


MM. du Coudray et du Bouchet partiront dans deux jours pour la Barbarie, écrivait-il à l’abbé de Tournon le 20 février, et MM. Brunet et Caudelon avec eux et un frère chirurgien pour faire les missions sur les galères de France ensemble, et le chirurgien diriger une espèce d’hôpital à Alger pour les pauvres galériens, et, par conséquent, avoir droit de demeurer là et s’y comporter à la façon de ceux du Canada. Il n’y a pas de meilleur moyen, pour faire voir la vérité et la sainteté de la religion chrétienne, que d’exercer l’hospitalité envers les malades[2].

  1. Le cardinal de La Rochefoucauld, chargé par Urbain VIII de faire une enquête sur la situation de l’ordre des Trinitaires en France (1638), constata que les maisons de l’Ordre étaient fort loin de consacrer un tiers de leurs revenus au rachat des captifs ; le couvent des Mathurins, à Paris, par exemple, sur 10 000 livres de revenu annuel, n’en avait dépensé que 18 à cet objet.
  2. Comparez la lettre du 31 janvier 1643 à M. Codouing, supérieur de Saint-Lazare à Rome. Bion que la rédemption des esclaves ne fût pas l’objet principal de la mission des Lazaristes en Afrique, saint Vincent de Paul, pendant les quinze dernières années de sa vie, dépensa environ un million de livres pour racheter 1 200 captifs.