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l’autre nom sous lequel il est connu : celui des frères Mathurins. À peine installés, les Trinitaires se mirent à l’œuvre. L’année même de la fondation du couvent de Cerfroid, deux frères, Jean Anglic (de Londres) et Guillaume Scot (d’Oxford), partirent de Rome avec la mission de racheter ou plutôt d’échanger le plus grand nombre possible de captifs en Afrique. Ils étaient porteurs d’une lettre d’Innocent III à Miramollin, roi du Maroc, dans laquelle le pape rappelait que l’œuvre, recommandée par l’Évangile, n’était pas moins profitable aux payens qu’aux chrétiens et, en terminant, exhortait le roi à se convertir[1].

L’histoire ne dit pas si le roi Miramollin fut sensible à l’exhortation contenue à la fin de la lettre du pape ; mais ce qu’on sait, c’est qu’il fît bon accueil aux Trinitaires, défendit à ses sujets qu’on leur fît aucun mal, et qu’en un mois ils purent racheter ou échanger cent quatre-vingt-six esclaves, qu’ils ramenèrent à Marseille. Encouragé par ce succès, Jean de Matha se rendit l’année suivante à Tunis et y délivra cent dix captifs.

De son vivant même, l’ordre se développa en France et dans le nord de l’Europe : il comptait au XVIe siècle cent cinquante maisons en France, une cinquantaine en Espagne, quarante-trois en Angleterre, cinquante-deux en Irlande, neuf en Écosse, et l’on a calculé que depuis sa fondation il avait racheté en tout 900 000 victimes de l’esclavage.

Ce ne fut pas le seul service rendu par eux à la cause de l’humanité en Barbarie : c’est à des Trinitaires espagnols qu’on doit la fondation du premier hôpital d’Alger.

Jusqu’en 1551, les esclaves malades ou infirmes étaient traités comme des bêtes de somme devenues inutiles et même moins bien, car, pour celles-ci du moins, on abrège leur tristesse en les abattant. Mais aux esclaves invalides était réservé un sort plus affreux : leurs maîtres les abandonnaient sans pitié sur la voie publique ou dans les champs, et ils y mouraient de faim ou succombaient à leurs infirmités sans aucun secours. Un Trinitaire de Burgos, Sébastien Duport, qui avait été témoin des souffrances de ces malheureux, conçut le projet d’y apporter quelque adoucissement. Après avoir recueilli une somme d’argent en Espagne, il se rendit à Alger, réunit les esclaves dans la chapelle du bagne du beylic, et après leur avoir fait approuver les plans et les règlemens d’un hôpital, il le fit construire dans un lieu voisin[2]

  1. Le P. Dan a donné, dans son Histoire de la Barbarie et de ses corsaires, le récit du voyage de rédemption qu’il accomplit en 1634 à Alger et à Tunis.
  2. Le plus ancien hôpital d’Alger se trouvait derrière le bagne du roi, qui occupait l’immeuble situé aujourd’hui entre la place de Chartres, la rue Saint-Louis et la rue Bab-Azoum. (Note de M. Alfred Milon, secrétaire général de la congrégation des prêtres de la Mission.)