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l’ancêtre et l’émancipateur, mais elle en prend plus à son aise avec le docteur. Cependant, puisqu’on ne s’accorde plus sur la parole de Dieu, ne pourrait-on se référer, provisoirement, à la doctrine de Luther, pour y chercher des argumens ? Ainsi font en effet les diverses écoles ; et des argumens, toutes en trouvent. Car il y eut en définitive deux hommes en Luther : le théologien et le fondateur d’Église, le penseur et l’administrateur, celui qui refusa l’obéissance et celui qui exigea l’obéissance : et il advint à ces deux hommes de rendre des échos différens.

L’épître aux Hébreux, les épîtres de Jacques et de Jude, lui furent suspectes ; et par cette brèche qu’il ouvrit lui-même dans le canon, la théologie moderne prétend expulser d’autres écrits bibliques : Luther est un précurseur. Mais cette dévotion de génie qu’il eut envers la parole de Dieu, et qui déborde en d’admirables pages, ne justifie-t-elle pas les pieuses réserves de la théologie positive au sujet des audaces de l’exégèse ? Ce n’est point Luther, assurément, qui eût marchandé sa foi à la vérité objective du surnaturel ; il n’y croyait point seulement avec sa raison, mais avec son imagination ; Jésus, Satan, étaient pour lui des physionomies nettes. Mais il a dit en un endroit que les miracles, les prophéties, sont des signes pour les païens, et que « nous devons célébrer les grands et insignes miracles, le Christ brisant quotidiennement la force du démon et assurant le salut des âmes » ; et vous pressentez quel profit un bon disciple de Ritschl peut tirer de ces réflexions, quel commentaire il en peut donner. Il y a tant de façons de lire et d’interpréter Luther, qu’entre ses divers héritiers il ne peut jouer le rôle de médiateur : a-t-il jamais pressenti, d’ailleurs, le genre de problèmes où se laisserait engager la Réforme, après trois siècles d’existence, sous les influences combinées du subjectivisme kantien et des divers systèmes panthéistes ?

« Jésus répondit : Si je suis né et si je suis venu dans le monde, c’est pour rendre témoignage à la vérité… Pilate lui demanda : Qu’est-ce que la vérité ? Et ayant dit cela, il alla de nouveau vers les Juifs. » C’est dans l’Evangile de l’apôtre Jean qu’on trouve ces lignes. Constamment elles nous revenaient à la mémoire, après l’audience ou la lecture des théologiens allemands contemporains ; elles résument, avec une insurpassable précision, l’esprit et la lettre des dialogues que les diverses écoles protestantes engagent entre elles, et qu’elles poursuivent toutes avec Jésus. Que le Maître ait rendu témoignage à la vérité : il n’en est aucune qui ne l’affirme, aucune, même, qui ne s’en montre pieusement édifiée. Mais « qu’est-ce que la vérité ? » Il ne s’agit