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chef-d’œuvre de la religion. Tendance nécessaire de l’amour divin, le royaume de Dieu est en même temps réalisé par l’homme ; et par cette introduction de la personnalité humaine, Ritschl échappe au panthéisme.

Il se distingue de Schleiermacher par un autre point. C’est à l’expérience religieuse que Schleiermacher ramène la religion tout entière. Or il se peut faire qu’homme du commun, je ne discerne pas en moi le retentissement de l’expérience religieuse de la communauté ; de deux choses l’une, alors : ou bien je veux être pieux, et je suis forcé de me référer, passivement, au principe d’autorité, d’accepter aveuglément ce qu’on me dit être cette expérience ; ou bien la stérilité de ma propre religiosité m’est un sujet de découragement, et je cesse d’être pieux. Consulter, dans sa propre conscience, les échos de la conscience religieuse de la communauté, pour en tirer sa religion : c’est ce qu’on peut faire lorsqu’on est Schleiermacher, mais que feront les simples d’esprit ? Ritschl prétend leur simplifier la tâche. C’est l’Écriture qu’il prend pour point de départ de la théologie, et voilà, du moins il s’en flatte, un point de départ objectivement donné, solidement fixé. Mais Ritschl, tout de suite, glisse de nouveau dans le subjectivisme ; car, après cinquante ans d’exégèse, l’Écriture, où la chercher ? Il y signale des écrits parasites qu’il en faut supprimer, des idées étrangères qu’il en faut dégager ; il l’accommode d’ailleurs à sa doctrine ; l’Écriture qu’il reconnaît comme source de la religion, c’est l’Écriture lue par Ritschl à la façon de Ritschl. Les livres saints agissent sur moi d’une certaine façon ; voilà ce qui détermine ma foi, voilà ce qui doit orienter ma théologie : c’est à des maximes de ce genre qu’aboutit l’école de Ritschl. De Schleiermacher à Ritschl, l’individualisme religieux a fait une nouvelle étape ; ce n’est pas l’expérience religieuse de la communauté, ce sont nos expériences personnelles, qui deviennent arbitres et maîtresses ; et Ritschl, tout le premier, en a donné un insigne exemple en construisant un christianisme où ni les libéraux ni les orthodoxes ni les théologiens du juste milieu n’ont reconnu la saine doctrine.

La « justification » et la « rédemption » sont le fondement du système : c’est par ces deux mots que s’intitule l’ouvrage principal de Ritschl. Et certes ils appartiennent au vocabulaire usuel de la théologie ; mais si nous observons que l’auteur n’admet pas le péché originel, on pressentira tout de suite l’originalité de cet ouvrage et de ce système, qui conservent les expressions coutumières tout en détruisant les dogmes afférens. Quelques exemples montreront Ritschl à l’œuvre.