Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/840

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conscience de Dieu, et que Jésus, grâce à ce prodige, fut vraiment le rédempteur. Cette expérience de la rédemption devient le point de départ de toute théologie. Ainsi la foi ne présuppose ni ne réclame des définitions ; elle crée la théologie, bien loin de se laisser formuler par elle ; et la théologie ne fait qu’enregistrer les données empiriques de la foi. Le parfait chrétien qui saura le mieux s’observer lui-même sera le plus parfait théologien.

La définition de la religion, telle que la donnait Schleiermacher, suscita les railleries faciles de Hegel : « Le chien est la plus dépendante des créatures, objectait-il ; serait-il donc la plus religieuse de toutes ? » Mais Hegel tentait, à son tour, un compromis entre le christianisme et le panthéisme. La religion, pour lui, c’est la conscience que Dieu a de lui-même dans l’être fini ; et ce n’est point dans la sphère inférieure du sentiment, comme le faisait Schleiermacher, que Hegel localise cette conscience ; il la transplante dans la sphère supérieure de la pensée, tout en la laissant, d’ailleurs, à un rang secondaire ; car les dogmes religieux ne sont que des images, des représentations, des symboles (Vorstellungen), forcément approximatifs, trop concrets pour être limpides : au-delà et au-dessus d’eux, la pensée hégélienne s’élève jusqu’à l’idée (Begriff). Mais christianisme et hégélianisme ont le même contenu ; la forme seule diffère.

Tout est dans tout : le panthéisme, appliqué au protestantisme, eut cette insigne vertu, d’être un agent de fusion, d’unification, ou tout au moins d’en donner quelque temps l’illusion. Bruno Bauer était hégélien lorsqu’il prouvait, par déduction, la naissance miraculeuse de Jésus ; hégélien, aussi, lorsqu’il s’aventurait jusqu’aux négations réputées les plus blasphématoires. Et s’il était possible à un seul et même penseur, dans ses multiples vagabondages de conscience, de se réclamer toujours du même Hegel, on ne saurait être surpris que le protestantisme allemand, durant une certaine période, ait fêté dans l’hégélianisme, suivant un mot de Strauss, « l’enfant de la paix et de la promesse ». On escomptait, continue Strauss, « un nouvel ordre de choses, durant lequel les loups habiteraient avec les agneaux et les léopards avec les boucs. La sagesse du monde, cette fière païenne, se soumit humblement au baptême et prononça une confession de foi chrétienne, tandis que de son côté la foi n’hésita pas à lui délivrer le certificat d’une parfaite orthodoxie et recommanda à la communauté de lui faire un accueil bienveillant »[1].

Un jour vint cependant où ces baisers Lamourette, dont Hegel

  1. Nous empruntons cette traduction à l’Histoire des idées religieuses en Allemagne, de M. Lichtenberger, II, p. 316.