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intuitions. Le philosophe, en lui, provoque des réserves ; mais on entrevoit, en même temps, un homme de haute et grave piété, une façon de prophète, à qui l’on s’abandonne. Où donc conduit-il, par quelles étapes et vers quel but ?

L’absorption du fini dans l’infini, de l’individu dans le tout, de la personne humaine dans cette immense œuvre d’art qui est l’univers : voilà le résumé du panthéisme. Le même être qui, considéré en sa multiplicité, s’appelle l’univers, est dénommé Dieu si on le considère en son unité ; tout homme est comme un phénomène de cette essence ; tout homme subit et recueille les pulsations de cet être universel. Dès lors, le sentiment de dépendance absolue de l’homme à l’égard de l’univers et le sentiment de dépendance absolue de l’homme à l’égard de Dieu se ramènent à une seule et même impression : la philosophie panthéiste aboutit au premier sentiment ; et quant au second, il est la meilleure définition que Schleiermacher puisse donner de la religion. Or l’intention de Luther, paralysée par deux siècles et demi de mesquineries théologiques et de religions d’Etat, fut de mettre l’homme en un rapport personnel avec Dieu ; Schleiermacher, avec des considérans panthéistes, ressuscite et réalise cette intention. Entre l’homme et Dieu, le « supranaturalisme » interposait une barrière de dogmes, le rationalisme une barrière de chicanes dogmatiques : d’une part un écran, qui interceptait la vérité ; d’autre part un tamis, qui la dénaturait en la voulant filtrer. C’en est fait de ces entraves. La religion est le sens intime du contact avec Dieu. Ce n’est point dans les livres, et ce n’est point non plus dans les traditions qu’elle a son siège, c’est dans notre cœur.

La foi en Christ est indépendante des miracles, des prophéties, de l’inspiration, détails secondaires sur lesquels polémiquaient les vieilles écoles. Elle est un fait d’expérience. Il y a une communauté chrétienne, formée, cimentée, maintenue par une longue expérience collective, révélatrice de la hauteur morale et religieuse du Christ : cette expérience, voilà la foi. Elle ne s’accroche point, avec une discrétion subalterne, aux constructions métaphysiques d’une prétendue « religion naturelle ; » et elle ne s’asservit point, non plus, à quelques bribes de révélation, parcimonieusement distribuées par une Eglise extérieure : dans la foi telle que l’entend Schleiermacher, il n’y a rien de servile, rien non plus de fragmentaire. La communauté chrétienne a cette impression perpétuelle, que l’homme doit vivre de la vie de l’infini, qu’à cet égard Jésus fut un insigne prototype, qu’en lui la conscience du moi, victorieuse de la chair, était déterminée par la