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précurseur de ces écoles allemandes contemporaines qui entonnent et terminent leurs hymnes à la religion par des médisances à l’adresse de la théologie. « Lors même qu’on ne serait pas en état de réfuter toutes les objections contre la Bible, écrivit à son tour Lessing, la religion, pourtant, demeurerait intangible dans le cœur de ceux des chrétiens qui ont acquis un sentiment intime de ses vérités. »

Et cette phrase, développée, commentée, poussée jusqu’à des conséquences que peut-être Lessing ne prévoyait pas complètement, serait une très opportune épigraphe pour une histoire du mouvement théologique allemand au XIXe siècle ; par-dessus le « supranaturalisme » et le rationalisme, qui alternaient les passes d’armes et les concessions, beaucoup après Lessing ont voulu faire prévaloir ce « sentiment intime des vérités de la religion », trait d’union acceptable, croyait-on, pour les deux écoles rivales. L’édifiante résonance que cette formule laissait après elle semblait assez inoffensive pour la foi. C’est pourtant à l’abri de ce nouveau langage que s’est singulièrement aggravé, au cours de notre siècle, l’émiettement des opinions individuelles dans le protestantisme allemand, et que s’est insinuée la conception d’un christianisme sans dogmes, d’un subjectivisme chrétien. En alléguant certains passages de Luther et en dépassant peut-être la portée de ces passages par les interprétations qu’on en donnait, on a, peu à peu, voulu prendre pour juge de la vérité religieuse, non point même l’initiative intellectuelle, mais, si l’on peut ainsi dire, l’impressionnabilité religieuse de chaque fidèle, sans se demander si de pareils recours, de pareils abandons, n’impliquent pas l’effacement et le sacrifice de la théologie elle-même. De cette évolution, progrès ou recul, qui permettrait, aujourd’hui, à beaucoup de théologiens allemands de présenter leurs écrits comme de simples notations de leurs sensations pieuses, on décrira, dans les pages qui suivent, les principales étapes.


I

Quelques mois avant le XIXe siècle, parut à Berlin, en cinq chapitres, un court volume intitulé : De la religion : Discours aux esprits cultivés parmi ses détracteurs. L’auteur, bientôt connu, s’appelait Schleiermacher. Il règne, depuis près de cent ans, sur le protestantisme allemand. Ses spéculations ont formé beaucoup d’esprits, ses méditations plus de consciences encore ; ceux qu’effraie son panthéisme sont captivés par son sens religieux ; si l’on ne suit pas ses déductions, l’on s’incline devant ses