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dans les choses de l’esprit et du goût, — sans oublier la mode, la tyrannique mode qui n’est qu’une des formes de prostitution du beau, — on a été amené à d’autres manières d’art, je le veux bien, mais non pas conduit à d’autres sources de vérité. A force d’avoir peur de l’éducation, on a oublié jusqu’à la plus élémentaire technique ; et par terreur des maîtres on n’apprend plus son métier. Comme vous, je hais la servitude et le plagiat ; mais si vous répétez les paroles des autres, c’est donc que vous n’avez rien d’autre à dire, et ceci est bien de votre seule faute, comme cela sera d’ailleurs votre châtiment final. Et s’il me faut maintenant devenir Scandinave ou Japonais de peur de mourir académique, la belle avance ! J’aime mieux jeter ma palette ou fermer mon piano, et aller courir les champs, où la journée est belle sous le ciel étincelant, quand passent en chantant des oiseaux et des femmes ! Mais il y a, Dieu merci ! plus de chaleur à vivre, et plus de vivacité à sentir, dans ce peuple, qu’on ne le dit chez nos ennemis, — hélas ! surtout chez nous, — mais pour Dieu ! sortons des sophismes, des systèmes, des rébus ! Souvenons-nous surtout que le monde des idées et des actes, comme l’autre, ne saurait vivre de théories absolues ; la vie modifie tous les jours l’être, insensiblement : et c’est cela qui fait, tout doucement, sans qu’on s’en doute, les transitions d’un style à un autre, et l’art vraiment nouveau. Les raisons des choses changent plus qu’on ne croit la raison des hommes ; et le nouveau style naît tout seul d’un besoin vrai, et non d’un factice effort.

Est-il trop tôt pour dire à ce propos que la Révolution française a substitué beaucoup de petites tyrannies à la grande qu’elle a voulu abattre. Et je ne parle que des arts ! Il est de fait qu’en centralisant, en unifiant à outrance toutes les forces créatrices d’art éparses dans l’ancienne France, elle a brusquement arrêté la circulation de la vie intellectuelle dans ce grand organisme. Le premier essai, hâtif et mal fait, d’unification artistique, n’a été qu’une attaque d’apoplexie, dont les membres du corps entier souffrent encore. En démolissant tout, et plus encore en reconstituant tout, en un jour, d’une pièce, selon une formule abstraite, la Révolution, en général, a été à rebours de la vraie unité, qui est dans la diversité, — la diversité des efforts parallèles vers un but. La Révolution française, en supprimant d’un trait de plume si léger, si grave ! les maîtrises et les corporations, pour ne citer ici qu’une cause de trouble entre tant d’autres, a supprimé longtemps la vie dans des branches latérales de l’activité intellectuelle de notre pays. Quand on ne pense qu’en haut, on pense trop, et on n’agit plus. Les penseurs, les artistes viennent de partout, souvent on ne sait d’où. On les a, au commencement de ce siècle, isolés