Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/765

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Maintenon, dans une lettre bien connue, qui se trouve partout, et qui est trop longue pour que nous la citions tout entière. Nous y relèverons seulement quelques traits : « Elle a, disait-il, la meilleure grâce et la plus belle taille que j’aie jamais vues, habillée à peindre et coiffée de même, des yeux vifs et très beaux, des paupières noires et admirables, le teint fort uni, blanc et rouge comme on peut le désirer, les plus beaux cheveux noirs que l’on puisse voir et en très grande quantité. Elle est maigre, comme il convient à son âge, la bouche fort vermeille, les lèvres grosses, les dents blanches, longues et mal rangées. Elle parle peu, au moins à ce que j’ai vu, n’est point embarrassée qu’on la regarde, comme une personne qui a vu du monde. Elle fait mal la révérence, et d’un air un peu italien. Elle a quelque chose d’une Italienne dans le visage ; mais elle plaît, je l’ai vu dans les yeux de tout le monde. Pour moi, j’en suis tout à fait content. »

Après avoir laissé reposer un instant la princesse, Louis XIV retourna auprès d’elle. Il eut à ce moment une pensée pour la duchesse Anne : « Je voudrais, dit-il, que sa pauvre mère pût être ici quelques momens, pour être témoin de la joie que nous avons. » Il voulut mettre la princesse à l’aise avec lui, et, comme elle l’appelait : Sire, il lui dit que ce n’était point ainsi qu’il le fallait appeler, mais : Monsieur. Il la fit asseoir dans un fauteuil, prit lui-même un petit siège et lui dit : « Madame, voilà comme il faut que nous en usions ensemble et que nous soyons en toute liberté. » Il s’amusa à la voir jouer aux jonchets, avec les dames, et admira son adresse. Sur ces entrefaites on vint annoncer que la viande était portée (c’était l’expression du temps). Dangeau entrant alors en charge lui donna la main pour la conduire à table. Elle y prit place entre le Roi et Monseigneur. Elle mangea de très bonne grâce, après avoir demandée l’un et à l’autre s’ils ne voulaient point toucher à un plat qui était devant elle. On remarqua fort aussi qu’elle ne recevait rien d’un officier de service sans lui dire merci. Le Roi lui ayant demandé comment elle trouvait Monseigneur, elle répondit qu’il ne lui avait point semblé si gros qu’elle s’y attendait.

Après souper le Roi l’accompagna dans la chambre où elle devait coucher, et prit plaisir à la voir décoiffer et déshabiller. En la quittant il déclara qu’il l’avait bien examinée depuis son arrivée et qu’il ne lui avait rien vu faire ni rien entendu dire dont il ne fût content au dernier point. Aussi reprit-il la plume pour terminer sa lettre à Mme de Maintenon : « Nous avons soupe, lui mandait-il ; elle n’a manqué à rien, et est d’une politesse surprenante à toutes choses ; mais à moi et à mon fils elle n’a manqué à rien et s’est conduite comme vous pourriez faire. J’espère que