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M. de Dangeau, lui écrivait-il, on ne peut en dire trop de bien. Il a fait accueil atout le monde ; il était partout, faisait bien les honneurs, et chacun en était très content. Cet homme-là, s’il m’est permis de dire mon sentiment, a bon esprit, des manières agréables, et il est capable de remplir de grandes places[1] ». Nous allons voir encore Dangeau intervenir utilement pour trouver la solution d’un incident qui aurait pu avoir une autre gravité que celui soulevé par Maffeï.

Le comte de Brionne avait un pouvoir régulier du Roi pour recevoir la princesse Adélaïde des mains du marquis de Dronero, chargé par le duc de Savoie de la conduire. Il en devait donner reçu, comme d’une marchandise précieuse. Mais Brionne, au lieu de s’entendre avec Dronero et Vernon au sujet de cet acte de délivrance, le libella à lui seul, et il eut soin de ne pas donner au duc de Savoie, qui, naturellement, était mentionné dans l’acte, la qualification d’Altesse Royale. Il y avait depuis longtemps querelle entre les deux maisons de Savoie et de Lorraine à ce sujet, chacune se refusant à donner de l’Altesse à l’autre. Lorsque Brionne remit cet acte à Vernon, celui-ci, en bon Maître des cérémonies qu’il était, remarqua bien l’omission, mais il ne voulut pas la relever sur-le-champ : « perche questo sarebbe stato di strepito piu che di consequenza ».

Vernon eut raison, car s’il eût refusé l’acte de délivrance ainsi libellé, le strepito qui en serait résulté aurait pu retarder le départ de la princesse. En effet, lorsque, le lendemain, le marquis de Dronero prit connaissance de l’acte, il s’aperçut de l’omission dont le caractère intentionnel ne lui échappa pas. Déjà piqué de la hauteur avec laquelle Brionne l’avait traité, il entra fort en colère, et dépêcha immédiatement un courrier chargé de rattraper l’escorte française, qui était déjà en route, de rendre l’acte à Dangeau et de dire qu’il ne l’acceptait point ainsi libellé. L’envoyé de Dronero ne put rejoindre l’escorte qu’à Lyon. Dangeau tint conseil avec Desgranges. Vainement ils s’efforcèrent de faire revenir Brionne sur son refus de donner de l’Altesse Royale au duc de Savoie, faisant valoir avec assez de raison que Louis XIV l’avait traité d’Altesse Royale dans tous les actes relatifs au mariage, en particulier dans le contrat ; que Brionne ne faisait que représenter le Roi, et qu’il pouvait bien en faire autant. Mais comme il y avait contestation sur ce point de Lorrains à Savoyards, Brionne s’entêta dans son refus, d’autant plus que son cousin, le prince d’Harcourt, qui se trouvait par hasard à Lyon, l’appuya fortement. Un biais fut alors imaginé, et le comte de

  1. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 95. Desgranges à Torcy, 17 octobre 1696.