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Les derniers jours qui précédèrent le départ de la princesse Adélaïde se passèrent en réjouissances populaires sur les rives du Pô où un grand feu d’artifice fut tiré. Mais ces jours s’écoulèrent moins gaiement pour la petite princesse, qui, malgré son jeune Age, dut subir tout l’ennui des réceptions officielles. Le 6 octobre, veille de son départ, sous un baldaquin, dans la chambre de parade de Madame la Duchesse Royale, elle reçut d’abord les complimens du nonce, qui fut introduit auprès d’elle « con tutte le formalita solite a praticarsi in occasione di audienze publiche. » Puis ce fut le Conseil d’État dont le président, le marquis de Bellegarde, en costume rouge, lui fit un compliment en langue française, parce qu’il était Savoyard. Après quoi il lui baisa la main et lui présenta tous les conseillers référendaires qui en firent autant. Puis ce fut le Sénat, dont le premier président, également en costume rouge, la harangua en langue italienne et lui baisa la main, ainsi que les autres présidens et tous les sénateurs. Puis la Chambre des Comptes, dont le président lui adressa une troisième harangue et dont les membres lui baisèrent encore la main. Puis ce fut le Corps de la cité, toujours avec harangue et baisemain. Ainsi se passa, dans sa ville natale, la dernière journée de cette enfant de onze ans, et l’on s’étonne que si petite main n’ait pas été usée par tant de baisers.

Le 7 octobre elle quittait Turin sous la conduite de la princesse de la Cisterna et du marquis de Dronero, mais accompagnée de sa mère, la duchesse Anne, et de sa grand’mère Madame Royale. Une nombreuse suite de cavaliers et de dames raccompagnaient également. Tout ce monde coucha à Avigliano. Le lendemain eurent lieu les premiers adieux. Après le déjeuner, elle monta en carrosse avec la princesse de la Cisterna et Mme Desnoyers sa gouvernante. Elle se sépara, con reciproca tenerezza, de cette mère, et de cette grand’mère tant aimée qu’elle ne devait plus revoir. Il y eut des larmes versées, et deux ans après la princesse écrivait à la comtesse de Gresy : « Je ne vous ai point escrit depuis que je suis Duchesse de Bourgogne, mais je ne vous en aime pas moins, étant la seule des filles de ma mère qui aye pleuré à mon despart, et contés que je n’oublie pas cela[1]. » Elle coucha successivement à Suse, à Lanslebourg, à Modane, haranguée dans toutes ces villes par le Corps de la cité et saluée, quand il y avait une garnison, par trois salves d’artillerie. Le 13 elle s’arrêtait à Montmélian, qui était encore occupé par les troupes

  1. Mémoires de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Savoie, t. III. La duchesse de Bourgogne à la comtesse de Gresy. La comtesse de Gresy, née de Sales, avait été fille d’honneur de la duchesse Anne.