Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/745

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

illusion à Louis XIV. « À ne vous rien cacher, Sire, lui écrivait-il[1], de l’humeur dont je le connais, je doute qu’il donne les mains à la sensible joye que Madame sa femme auroit d’embrasser les genoux de Vostre Majesté et de voir Monsieur. » Deux jours après, il transmettait en effet à Louis XIV la réponse ambiguë mais négative de Victor-Amédée[2]. « Il a reçu le tout avec des démonstrations de profond respect et m’a chargé de mander à Vostre Majosté, qu’à l’égard de la conduitte de Madame sa fille, il ne pourroit pas s’empescher d’envier à Madame sa femme l’honneur et la joye qu’elle auroit de voir Vostre Majesté, qu’il espéroit même que dans un temps plus tranquille vous lui permettriés de vous faire sa révérence à la Cour… mais que Madame la duchesse estoit dans les remèdes, que sa santé n’estoit pas assez ferme pour entreprendre un voyage, qui, bien que très agréable, conduiroit le temps du retour dans une saison fâcheuse. En un mot, Sire, je ne vois nulle apparence qu’il souhaitte présentement, ni qu’il consente que Madame sa femme conduise Madame la Princesse sa fille. Saint-Thomas, auquel j’avois communiqué tout cela et qui connoist bien son maître, fait et fera de son mieux pour donner cette satisfaction à Madame la duchesse qui en meurt d’envie et nous agissons de concert, sans espoir de ma part. »

Madame Royale, dont la joie était extrême et qui profitait de l’occasion pour écrire à Louis XIV une lettre pleine de protestations, aurait bien aimé également conduire sa petite-fille. Mais Victor-Amédée, qui continuait de haïr sa mère au point de ne la voir et de ne lui parler que le plus rarement possible, n’avait garde de lui procurer ce triomphe. Il ne pouvait être question de la princesse de Carignan, femme de l’héritier présomptif, au mariage de laquelle Louis XIV s’était autrefois si fort opposé. À défaut de princesse appartenant à sa maison, le choix de Victor-Amédée s’arrêta donc sur la plus grande dame et un des plus grands seigneurs qui fussent alors à la cour, Thérèse Litta, princesse de la Cisterna, qui était à la fois première dame d’honneur de la duchesse de Savoie et gouvernante en titre de la princesse, et Philibert d’Esté, marquis de Dronero, grand maréchal du palais, chambellan du duc de Savoie, gouverneur de Turin et, suivant une manière de parler en usage à la cour de Turin, seigneur du sang, c’est-à-dire qu’il descendait d’une fi lie légitimée du duc Charles-Emmanuel. Ces choix considérables déterminèrent ceux de Louis XIV. Ce fut naturellement la duchesse

  1. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 97. Tessé au Roi, 9 août 1696.
  2. Ibid. Tessé au Roi, 11 août.