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adresser au Roi des vers assez fades, et une certaine demoiselle Hier faisait parvenir ceux-ci au duc de Bourgogne :


Prince, tout rit à vos désirs.
La Paix, l’Hymen et les Plaisirs
Amènent en ces lieux une jeune princesse.
Vous lui plairez à votre tour.
Qui pourrait résister, Prince, à tant de mérite,
Vous êtes plus beau que l’Amour,
Et la gloire est à votre suite.


Cependant, à Versailles même, le ton et les préoccupations n’étaient point ainsi tournés au sentiment. Bien qu’elle y eût fort payé de sa personne, la noblesse n’était pas lasse de la guerre, et le grand nombre des tués à l’ennemi n’avait pas refroidi son humeur belliqueuse. Parmi ceux qui se piquaient de politique, quelques frondeurs critiquaient même les conditions de la paix. Ils ne comprenaient point que le roi abandonnât Casai, ni surtout qu’à un adversaire vaincu il restituât Pignerol, cette conquête de Richelieu. D’injustes reproches se murmuraient à demi-voix, et Vauban lui-même leur donnait une forme violente dans une lettre confidentielle qu’il adressait à Racine, l’historiographe du roi. « De la manière qu’on nous promet la paix générale, lui écrivait-il, je la tiens plus infâme que celle de Cateau-Cambrésis qui déshonora Henri second, et qui a toujours été considérée comme la plus honteuse qui ait jamais été faite[1]. » Mais pour le gros des courtisans, la préoccupation principale ce n’était pas la paix, c’était le mariage.

Depuis que le Roi s’était fait dévot, la Cour s’était faite triste. Il n’y avait plus ni reine, ni dauphine. Marie-Thérèse était morte en 1683, la Dauphine en 1690, et d’ailleurs ni l’une ni l’autre de ces épouses vertueuses et délaissées n’étaient nées pour faire revivre ces jours brillans de la jeunesse du Grand Roi que les uns regrettaient tout haut pour les avoir connus, dont les autres, tout bas, parlaient avec curiosité et avec envie. Une nouvelle dauphine réveillerait peut-être ces grâces endormies. Quelle était l’humeur de cette jeune princesse qui devait être leur future reine ? Qu’en fallait-il espérer ou craindre ? La curiosité était vive à ce sujet, et comme à cette curiosité personne ne pouvait répondre d’une façon positive, on s’efforçait de la satisfaire par des conjectures. « On sut, disent les Mémoires du marquis de Sourches, que le duc de Bourgogne avoit reçu un portrait de la princesse de Savoie et qu’il le regardoit avec plaisir. Toute la cour l’alloit voir dans le

  1. Abrégé des services du maréchal de Vauban, publié M. le colonel Augoyat, page 23.