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acte d’arbitraire municipal vient à se produire. Le fait-il ? Quelquefois, mais pas toujours. Il l’a fait à Carmaux, et nous l’en félicitons. A la vérité, le maire de Carmaux avait dépassé toute mesure. Il fallait être M. Calvignac pour interdire à des républicains de célébrer chez eux, par un feu d’artifice, la fête nationale du 14 juillet. Ces républicains formaient un cercle que M. Calvignac a qualifié de « rétrograde » ; dès lors tout ménagement lui a paru superflu. Le commissaire de police ayant pris parti pour le cercle a subi les injures du maire ; il n’a fait ni une ni deux, il l’a arrêté. M. Calvignac s’était mis si évidemment dans son tort que ses amis mêmes, ou du moins la plupart d’entre eux, l’ont désavoué et abandonné à son malheureux sort. Il a été relâché, mais il sera poursuivi. Pour un peu, il nous intéresserait. Son acte, son attitude, son langage, révèlent une telle profondeur d’inconscience qu’on en est presque désarmé. M. Calvignac est un naïf ; il a glorieusement foi dans son écharpe ; il a vu qu’il suffisait à d’autres d’en être ceints pour tout se permettre ; il n’a pas l’habitude des nuances, il n’a pas saisi les différences entre son cas et celui de tant d’autres, et s’y est maladroitement engagé ; il ne s’est pas rendu compte que Carmaux avait lassé la patience universelle et qu’il était prudent de la laisser en repos, au moins pendant quelques mois. Il a mal calculé et a été victime de son erreur. La prétention d’un maire d’empêcher des citoyens de fêter le 14 juillet a paru exorbitante. M. Calvignac n’aime pas le 14 juillet ; c’est son droit ; il partage d’ailleurs ce sentiment avec tous les réactionnaires ; en tant que particulier, il est libre de ne pas célébrer une date qui lui déplait, on ne sait trop pourquoi, sans doute parce qu’il juge qu’elle fait tort à d’autres qui lui plaisent encore davantage ; mais, en tant que maire, il ne peut pas oublier que le 14 juillet a été déclaré fête nationale par la loi. On le fête sur tout le territoire, on doit le fêter à Carmaux comme ailleurs, et surtout le laisser fêter. L’opposition de M. Calvignac est plutôt de nature à amuser qu’à indigner ; mais, encore une fois, que deviendrions-nous si chaque maire se croyait maître absolu dans sa commune ? L’œuvre de toute notre histoire serait compromise, et il ne resterait bientôt plus rien de l’unité nationale. Ici encore, pour conjurer le mal, il n’est pas nécessaire de réviser la constitution, il suffit d’appliquer la loi. La constitution serait autre, que nous n’en serions pas plus avancés. C’est en lui-même et en lui seul, dans sa présence d’esprit et dans sa fermeté, que le gouvernement doit trouver la force dont il a besoin : elle ne saurait lui venir du dehors. Là est pour lui la première tâche à entreprendre, et si le gouvernement, après l’avoir entamée résolument, la menait à bon terme, peut-être s’apercevrait-on assez vite qu’il y aurait beaucoup moins d’urgence à réviser la constitution.


En Italie s’est produite une crise ministérielle que rien n’avait