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idées se rapprochaient beaucoup du socinianisme. Mais à côté de ces gloires du collège, vingt autres excentriques assistaient aux réunions, dont chacun interprétait à sa manière les textes sacrés.

C’est parmi eux que Spinoza fit connaissance avec son futur éditeur, Jan Rieuwertz, avec Jarig Jelles, qui devint ensuite l’un de ses plus intimes confidens, et avec ce Simon Joosten de Vries qui, ainsi que l’on sait, lui légua en mourant une rente viagère. Jarig Jelles, en particulier, aurait mérité de nous arrêter un moment. Ancien épicier, « il s’était aperçu un beau jour que l’argent ni les biens matériels n’avaient pour effet de rendre l’âme plus heureuse », sur quoi il s’était mis à chercher la vérité, « n’épargnant, pour la trouver, ni les peines ni la dépense. » C’est un ami qui nous donne sur lui ces détails touchans, dans la préface d’une Profession de foi imprimée en 1684, après la mort de Jarig Jelles.


Mais de tous ces hommes avec qui se ha notre philosophe durant son séjour parmi les collégians, aucun ne joua dans sa vie un rôle aussi important que le docteur François van den Enden. Celui-là fut vraiment le maître de Spinoza. Il lui enseigna la langue latine, il lui fit connaître la méthode et les écrits de Descartes ; et peut-être est-ce lui encore qui suggéra à l’auteur de l’Éthique la première idée de son panthéisme. « Comprenez bien que l’être de Dieu est contenu tout entier dans l’ensemble des choses ! » lui fait dire un poème composé en son honneur par un bel esprit d’Amsterdam ; et un autre poème n’est pas moins explicite : « Cherchez Dieu dans l’ensemble des choses — y lisons-nous, — car hors de là vous ne le trouverez pas ! »

Franciscus van den Enden est, en tout cas, une étrange et saisissante figure. Parmi ces braves Hollandais altérés de la seule « vérité », il apparaît comme un dilettante, un amant de la beauté sous ses formes les plus diverses. Catholique pratiquant et athée déclaré, tour à tour jésuite, libraire, diplomate, maître d’école, et conspirateur, on comprend qu’il ait fait, toute sa vie, l’étonnement de ses contemporains. A deux siècles de distance, il nous étonne encore ; et nous ne saurions trop regretter que les renseignemens nous soient parvenus en si petit nombre sur lui. Voici du moins ceux que M. Meinsmaa pu recueillir ; ils suffisent à donner une idée du singulier personnage que fut cet inspirateur des « libertins » hollandais.

Franciscus Affinius van den Enden est né en 1600, à Anvers, d’une vieille famille flamande. Après de fortes études faites à l’Université de Louvain, il entra dans l’ordre des Jésuites ; mais sans doute il n’y alla point au-delà du noviciat, car en 1642 on le retrouve à Anvers, se mariant le plus saintement du monde avec Clara Maria Vermeren. Trois ans après il s’installe à Amsterdam ; nous le voyons à plusieurs