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aux élections du 28 novembre 1893 en Nouvelle-Zélande, les premières et jusqu’à présent les seules faites dans cette colonie sous le nouveau régime électoral, sur 139 915 femmes majeures, 109 461, soit 78,2 pour 100 s’étaient fait inscrire sur les listes électorales[1], et 90 290 ou 64,5 pour 100 avaient pris part au vote. La proportion des hommes ayant voté était un peu plus forte, 72,2 pour 100. La question de la vente des liqueurs alcooliques avait joué un très grand rôle dans la campagne électorale, et le parlement issu, de cette élection, a voté des lois nouvelles réglementant plus sévèrement le commerce des spiritueux. Le parti prohibitionniste a donc obtenu une partie des résultats qu’il désirait et continue dans les autres colonies à soutenir le mouvement féministe.

Si important qu’il puisse être de mettre un frein au fléau de l’alcoolisme, il est cependant grave d’opérer une réforme sociale et politique aussi profonde que l’admission des femmes à l’électorat, non pour ce qu’elle vaut en elle-même, mais pour des causes accessoires. Le parti prohibitionniste et le parti ouvrier, sans l’appui desquels les femmes attendraient longtemps encore leurs droits politiques, n’ont vu dans ce changement qu’un moyen de procurer un plus grand nombre de sectateurs aux causes qu’ils soutenaient. C’est bien là un exemple du plus grand mal des États modernes : la subordination de toutes choses à l’intérêt électoral ; le vote des mesures les plus graves, sans considérer leurs qualités intrinsèques et leurs conséquences futures, simplement pour les résultats immédiats qu’on en peut attendre, pour les voix qu’elles peuvent valoir aux partis qui les ont soutenues.

Cette ardeur même des femmes en faveur de la prohibition de l’alcool, qui leur a valu les sympathies du tempérance party, ne provient-elle pas elle-même des penchans de leur nature qui rendent précisément le moins désirable leur participation au gouvernement ? N’est-elle pas un témoignage de leur tendance à se décider non d’après des raisonnemens, mais d’après des sentimens, à aller par suite aux extrêmes, à n’admettre aucun terme moyen ? N’est-elle pas surtout une preuve de la faveur avec laquelle elles envisagent la grand motherly legislation, la « législation de grand mère » qui voudrait protéger les hommes contre tout danger et toute tentation, les enfermer dans un réseau de prescriptions minutieuses rappelant les soins, la surveillance de tous les instans dont ont été entourées les premières années de

  1. En Australasie, tout nouvel électeur doit demander son inscription, qui n’est pas faite d’office ; en certaines colonies, il faut même se faire réinscrire tous les trois ans, ou chaque année.