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équivaut en pratique à une tenure indéfinie. Mais l’atteinte morale au droit de propriété est grave, malgré tout. Il s’en trouve une autre dans ces améliorations qu’on exige des colons, dans cette surveillance de l’administration qu’on leur impose pendant de longues années. Sans doute, dans un pays neuf, l’Etat peut exiger quelques garanties qu’on n’achète pas une terre pour en attendre la plus-value sans la mettre en valeur ; il a surtout ce droit lorsqu’il accorde des facilités de paiement. Mais il est dangereux de le pousser trop loin : on en arrive vite ainsi à faire diriger les exploitations des particuliers par des fonctionnaires peu compétens, comme autrefois cet intendant de Bordeaux qui prétendait interdire à Montesquieu de planter des vignes. On habitue les cultivateurs à être tenus en tutelle, on affaiblit leur esprit d’initiative, on écarte tous les hommes énergiques qui veulent avoir leurs coudées franches. Enfin l’extension démesurée d’un système de baux emphytéotiques pourrait bien n’être pas sans danger pour les budgets de pays démocratiques où les considérations électorales pèsent toujours d’un si grand poids sur les gouvernemens. Sera-t-il toujours facile de faire payer ces rentes annuelles ? L’opinion publique n’obligera-t-elle pas à accorder des sursis, des remises dans les années malheureuses ? Ce sont toujours les finances de l’Etat qui souffrent le plus des expériences socialistes.

Ainsi compromis une première fois par la loi sur les terres de 1892, le droit de propriété n’a pas tardé à subir en Nouvelle-Zélande une autre et plus grave atteinte. Le gouvernement jugeant que le domaine public ne comprenait plus assez de bonnes terres, s’était déjà fait autoriser à traiter de gré à gré avec des particuliers pour leur en acheter. Une loi de 1894 lui a maintenant donné le droit d’exproprier toute personne, possédant un domaine d’un seul tenant dont l’étendue dépasse 400 hectares si la terre est propre à la culture, 800 hectares si elle est mi-agricole, mi-pastorale, 2 000 si elle n’est propre qu’à la pâture. Si le prix offert par le gouvernement n’est pas accepté, une Cour spéciale le fixe après expertise. Voilà donc un maximum imposé à l’étendue de la propriété foncière et un maximum fort peu élevé dans un pays neuf tel que la Nouvelle-Zélande, grande comme la moitié de la France et peuplée de moins de 700 000 habitans. C’est un premier pas vers le partage égal des terres. Sans doute cette loi n’est, en théorie du moins, qu’une mesure transitoire, votée pour six ans seulement. Mais qui peut garantir qu’elle ne sera pas rétablie au premier jour et peut-être aggravée ? Lorsqu’une fois on a ébranlé un principe aussi fondamental que la propriété, il ne