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plus conforme à l’esprit anglo-saxon qu’à l’idée révolutionnaire.

Le grand desideratum du prolétariat, la journée de huit heures, est en vigueur dans la plupart des métiers en Australie et a été obtenue par les seuls efforts des syndicats, sans aide législative. La rareté des ouvriers habiles pendant la grande période. d’effervescence des mines d’or a favorisé les hauts salaires et les courtes durées de travail. Les trade-unions se sont trouvées ensuite assez fortes pour maintenir ces conditions et y ont été encore aidées par l’inflation générale qui a signalé la période de grande prospérité, en partie factice, de l’Australie de 1871 à 1892. Pendant ce temps, il n’a pas été introduit dans ce pays moins de 7 milliards 200 millions nets de capitaux européens, dont plus de la moitié en emprunts publics. Les salaires sont restés très élevés, malgré les courtes journées, le plus simple manœuvre gagnant 8 à 9 francs par jour ; les syndicats ne rencontraient que peu de résistance et en profitèrent pour assurer leur puissance.

Ils voulurent la mettre, à l’épreuve en 1890-91, mais les grandes grèves qu’ils organisèrent alors dans les industries maritimes et parmi les mineurs des houillères de la Nouvelle-Galles du Sud échouèrent complètement. Le malaise résultant des excès de spéculation se faisait déjà sentir ; les industriels, gravement menacés cette fois, s’unirent, et les grévistes durent renoncer à leurs prétentions. C’est depuis lors que le parti ouvrier s’est constitué solidarity-party, que des liens se sont noués entre les associations ouvrières des diverses colonies et que des mesures législatives d’un caractère socialiste prononcé ont été prises par les divers gouvernemens qui s’étaient bornés, jusque-là, à soulager les sans-travail par des travaux publics de toute sorte.

Avant d’examiner cette législation, il convient de parler brièvement d’un point particulier du mouvement ouvrier australien, le socialisme rural des tondeurs de moutons. Très nombreux dans ce pays qui compte 120 millions de bêtes à laine, ils forment une population à demi nomade qui se déplace d’un run ou parcours de mouton à un autre ; ils sont accompagnés de ce qu’on appelle les rouseabouts, gens souvent sans aveu, qui font tous les petits travaux accessoires de la tonte, ramassent la laine, tiennent des cantines, etc. Les tondeurs eux-mêmes se recrutent dans les couches les plus inférieures de la population coloniale. Leurs divers syndicats sont réunis en une fédération générale, et les grèves, au moins partielles, qui éclatent tous les ans, revêtent un caractère de violence qu’ont très rarement les grèves urbaines. La grande grève de 1894 a révélé des tendances et des moyens