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les bords du fleuve d’immenses bassins qui suffisent pour emmagasiner l’eau nécessaire à l’alimentation de la ville, afin de n’en pas puiser à la rivière pendant les crues qui durent de 15 à 20 jours. L’épuration par le repos est très lente à s’opérer. Il faut de sept à dix jours pour qu’elle soit complète, ce qui force à donner aux réservoirs de très grandes proportions. De plus, ces grandes masses d’eau s’altèrent par l’immobilité prolongée sous l’action de l’air, de la chaleur et des poussières qui y tombent ; aussi n’y a-t-on recours généralement qu’à titre d’opération préliminaire, comme moyen de débarrasser les eaux des matières les plus louches avant de les filtrer. C’est ce qu’on fait à Londres.

La filtration est un procédé plus prompt et plus efficace, c’est aussi le plus employé. Il est en usage dans 65 des 95 villes de France qui épurent leurs eaux. Il peut s’opérer à l’aide de bassins, de galeries, de puits filtrans ou par des procédés mixtes. Les bassins filtrans sont semblables à ceux qui servent à la décantation, mais le fond en est couvert de couches superposées de sable fin, de gros gravier, de cailloux et de moellons. Tous ces élémens ne sont pas employés à la fois. Les bassins filtrans de Londres, — qui reçoivent les eaux lorsqu’elles sortent de ceux dont nous avons parlé tout à l’heure, et qui sont cités partout comme modèles depuis 1839, époque à laquelle ils ont été construits par M. Simpton, ingénieur de la Compagnie de Chelsea, — ces bassins n’ont que quatre couches filtrantes ; et cela suffit pour épurer de 2 à 3 mètres cubes d’eau par mètre carré de surface et par jour. Ce procédé s’est répandu depuis lors en Europe et en Amérique. Il en a été fait récemment une application ingénieuse à Venise.

Lorsque la Compagnie générale des eaux pour l’étranger conduisit, en 1889, les eaux de la Brenta, à Venise, il lui fallut les filtrer, avant de les admettre dans la canalisation sublagunaire. Elle creusa pour cela, à Moranzani, quatre grands bassins contigus, ayant 1224 mètres de surface totale, et garnit leur fond de deux couches filtrantes. La première était de sable très pur, provenant des dunes du Lido. C’est celui dont on se servait auparavant pour les citernes qui avaient jusqu’alors alimenté Venise. La seconde couche était formée de gravier de rivière. Ces bassins font depuis six ans le service. Les eaux, après avoir traversé les deux couches filtrantes, se rendent, par des barbacanes, dans un collecteur où elles sont reprises par des pompes et versées dans une cuve de départ ou introduites directement dans la conduite sublagunaire.

Les bassins filtrans ont l’inconvénient de s’encrasser. L’eau, arrivant par la partie supérieure avec lenteur et sous une faible pression, s’écoule à travers le sable et dépose à sa surface les