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énorme oscillant sur les rochers qui la supportent et qu’elle écrase. Les débris pulvérisés qui résultent de ce conflit se mêlent à l’eau de fusion et la troublent ; mais, en tombant dans les lacs, ils se déposent peu à peu dans leurs profondeurs, et les eaux de ces grands réservoirs sont limpides et incolores. On ne peut leur reprocher que leur très faible minéralisation. Elles sont aussi pauvres en sels que les glaciers et les neiges qui les ont produites. Elles ne renferment également qu’une très petite quantité de matière organique ; mais elles peuvent contenir des microbes. La surface du lac est balayée par les vents ; les ruisseaux qui s’y rendent se sont souillés en chemin, et ils reçoivent les égouts des grandes villes situées sur leurs bords. Leurs eaux, quelle que soit leur masse, ne peuvent pas avoir la pureté des eaux de source ; et c’est l’objection que les hygiénistes ont faite, lorsqu’il s’est agi d’emprunter aux lacs de Neuchâtel ou de Genève l’eau nécessaire à la ville de Paris.

Les eaux des étangs et des mares sont les plus insalubres des eaux potables, si tant est qu’on puisse leur donner ce nom. Il faut être dans l’impossibilité absolue de s’en procurer de meilleure pour les faire servir à la boisson. C’est malheureusement le cas d’un grand nombre de localités : en Sologne, dans le pays de Caux, la Bresse, la Camargue, on n’en a pas d’autre à sa disposition ; les étangs creusés sous Louis XIV servent encore à l’alimentation de Versailles ; au Sénégal, on boit l’eau des marigots ; au Bengale on consomme celle des lacs artificiels qu’on trouve à chaque pas ; en Tunisie, les indigènes boivent l’eau des mares dans lesquelles viennent s’abreuver leurs troupeaux, où les femmes bavent leur linge et jettent souvent leurs eaux ménagères. Dans ces eaux croupissantes, la matière organique se putréfie ; les infusoires et les microbes pullulent, se développent et meurent sous l’action d’un soleil de feu. Lorsqu’on est réduit à boire de pareilles eaux, il est de rigueur de les filtrer ou de les faire bouillir. En Chine et en Cochinchine, les indigènes se préservent des maladies que les eaux de leurs rivières leur communiqueraient infailliblement, en ne buvant que du thé, dont l’infusion implique une ébullition préalable.

Les mêmes précautions sont indispensables, lorsqu’on est forcé de consommer de l’eau des puits, ainsi que cela se pratique encore dans la plupart des campagnes. En Afrique, les puits constituent le seul moyen de se procurer de l’eau, et chacun sait l’importance qu’ils prennent dans le désert. L’eau des puits est dangereuse dans les villes, parce qu’ils reçoivent le plus souvent des infiltrations provenant des fosses d’aisances creusées