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sont lentes à se déposer. Des expériences faites à Bordeaux sur les eaux de la Gironde ont montré qu’il leur fallait plus de huit jours pour reprendre leur limpidité dans les réservoirs. Ce limon est un grand obstacle à l’épuration artificielle des eaux, parce qu’il obstrue les pores des galeries et ceux des filtres. Toutefois les matières étrangères que les fleuves peuvent entraîner dans leur cours à travers les campagnes sont loin d’être aussi dangereuses que celles qu’ils reçoivent dans les villes. Nous avons dit que la Seine après avoir traversé Paris renfermait 106 000 microbes par centimètre cube. À ce moment, bien qu’elle ait déjà reçu les déjections de toutes les localités situées en amont de la grande ville, celles de la Cité et de l’île Saint-Louis, elle a encore assez bonne apparence ; mais, à partir du point ou débouche le grand collecteur de Clichy, c’est une véritable infection. De la bouche de ce grand égout sort un courant d’eau noirâtre qui s’épanouit sur la rivière sous la forme d’une courbe parabolique et en couvre à peu près la moitié. Sur cette eau, couverte d’une couche de matière graisseuse, nagent des détritus sans nom. Une vase grise, mêlée de débris infects, s’accumule le long de la rive droite et y forme des bancs considérables. D’énormes bulles de gaz se dégagent du soin de ces eaux. Le passage d’un bateau à vapeur soulève des flots d’écume et produit une véritable ébullition dans son sillage. La rivière va ensuite en s’épurant et en se troublant de nouveau, lorsqu’elle reçoit de nouvelles immondices en traversant de nouveaux centres de population ; mais ce n’est qu’à Meulan que toute trace d’infection a disparu.

Toutes les eaux de rivière ne sont pas polluées au même degré que la Seine ; mais toutes sont suspectes. Comme eaux potables, elles ne constituent qu’un pis aller et ne doivent être bues qu’après une épuration préalable. Celles des canaux alimentés par les rivières ou par des dérivations artificielles sont encore plus impures, parce qu’elles sont presque stagnantes : aussi sont-elles, pour la plupart, impropres aux usages alimentaires.

Les eaux stagnantes ne peuvent être considérées comme potables que lorsqu’elles sont réunies en grandes masses dans des lacs, comme ceux de la Suisse et de l’Amérique du Nord. Ces vastes réservoirs sont alimentés par la fonte des neiges des glaciers et par les pluies qui tombent dans les montagnes. Les eaux qu’y déversent les torrens sont souvent bourbeuses, et cela tient à leur mode d’écoulement. Les glaciers en effet fondent par leur base ; celle-ci est réchauffée par la chaleur terrestre, par les pressions, les frottemens que provoque le poids de cette masse