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Les eaux renferment deux sortes d’êtres vivans. Les uns sont visibles à l’œil nu ou à la loupe, comme les sangsues filiformes qu’on trouve dans les eaux de l’Algérie, et qui se fixent au pharynx des soldats quand ils les avalent. D’autres parasites, comme les embryons des hématozoaires, pénètrent dans le torrent circulatoire, s’y développent et causent ces maladies étranges qui ont été l’objet d’études récentes, et dont l’énumération seule m’entraînerait trop loin. Ou bien encore ce sont des œufs d’entozoaires, comme les lombrics, les tænias, les anguillules. Les algues appartiennent à la même catégorie ; mais elles sont inoffensives. Les infusoires le sont aussi, mais ils sont toujours l’indice d’une forte proportion de matière organique et donnent à l’eau un aspect dégoûtant.

La seconde espèce d’êtres vivans que renferment les eaux potables appartient à ce monde nouveau découvert par Pasteur et elle intéresse à un bien plus haut degré la santé des populations. C’est le règne des bactéries ou des microbes, pour leur donner le nom consacré par l’usage. Ces organismes élémentaires ne sont visibles qu’au microscope et à la faveur des plus forts grossissemens. On en trouve dans toutes les eaux lorsqu’elles ont été exposées à l’air libre. Il y en a même dans l’eau distillée quand elle a subi le contact de l’atmosphère, et cela se comprend puisque celle-ci en est remplie ; mais la quantité varie dans des proportions considérables.

D’après les analyses du docteur Miquel, directeur du laboratoire bactériologique de l’Observatoire de Montsouris et qui fait autorité en cette matière, l’eau de la Vanne, à son entrée dans Paris, en renferme en moyenne 1250 par centimètre cube, celle de la Dhuys, 3 825, et l’eau de l’Avre, 2 920. On en trouve 25 000 dans l’eau de Seine puisée à Ivry, 40 000 quand on la prend à l’usine d’Austerlitz, et 106 000 en aval du pont de Sèvres. La Marne, à l’usine de Saint-Maur, en contient 58 430 ; l’eau du canal de l’Ourcq, à la gare de la Villette, 78 845. La Sprée, à Berlin, est encore plus souillée que les rivières de Paris : le professeur Koch y a trouvé 125 000 microbes par centimètre cube. Quant aux eaux d’égout, c’est par millions qu’ils y foisonnent. Celles de Paris en renferment 8 millions en arrivant à Clichy, et celles de Berlin 38 millions, d’après les observations du docteur Koch.

Les micro-organismes se développent dans les eaux avec une rapidité prodigieuse. Elles n’en contiennent pas au moment où elles émergent du sol ; mais, lorsqu’elles ont séjourné pendant quelques heures dans les conduites ou dans les réservoirs, on y en trouve des quantités considérables. Cette pullulation a pourtant