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CHARLES FOURIER

Fourier est très intéressant à étudier, non seulement parce qu’il n’y a pas eu de rêveur qui ait eu l’imagination plus puissante à la fois et plus précise, en sorte que nous voyons son rêve comme une chose concrète et minutieusement réalisée dans son plus petit détail, mais encore parce qu’il est le premier en date des socialistes, et particulièrement des collectivistes, et en même temps l’élève direct, l’héritier immédiat de Jean-Jacques Rousseau. — Et donc comment tout le mouvement socialiste, tous les mouvemens socialistes du siècle, à en excepter Proudhon, qui n’est pas socialiste, se rattachent directement à Rousseau, personne mieux que Fourier ne peut le montrer, et Fourier est essentiel pour qu’on le comprenne.


I

Il naquit à Besançon en 1772. Il était de très humble bourgeoisie, fils de petits commerçans. C’est dans la boutique paternelle qu’il puisa l’horreur du commerce. Tout enfant il prévint un client d’une petite fraude, ou, si l’on veut, d’une petite espièglerie commerciale, usitée dans le magasin. On lui en fit des reproches qui durent être vifs. Il fit « le serment d’Annibal ». Il jura qu’il abolirait le commerce. Ses parens, en retour, lui prédirent qu’il ne serait jamais commerçant. Rien de tout cela ne s’est réalisé. Il n’a pas aboli le commerce, et il fut commerçant à peu près toute sa vie. Du reste il en avait le génie, en partie du moins. Il était excellent, et presque merveilleux, calculateur, comptable hors ligne. Pendant toute sa jeunesse, il mit en usage, tout à fait