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manqué sur ce point à aucun engagement formel. Au reste, les motifs de l’insurrection ont une importance secondaire. Ceux qu’on donne, ceux qu’on avoue ouvertement, ne sont pas toujours ceux qui agissent le plus. Quoi qu’il en soit, les insurgés ont réclamé dès le premier jour un gouverneur de leur religion et la réunion de l’Assemblée nationale. Ils les ont réclamés par les armes, et il y a eu, de part et d’autre, des actes très regrettables pour l’humanité. Le sang a coulé, ici le sang chrétien et là le sang musulman. Les villes ont été désertées. Sur un point des troupes turques ont été assiégées ; sur d’autres elles ont commis des violences et des massacres. Le mal qui venait de se manifester, — et ce symptôme est plus inquiétant encore que tous les autres, — ne s’est pas localisé et enfermé dans l’île ; il a eu des répercussions immédiates sur divers points de l’Anatolie, où l’insurrection arménienne était à peine éteinte, et de la Syrie, où les Druses se sont livrés aux déprédations dont ils sont volontiers coutumiers. Nous n’avons pas besoin de dire qu’en Grèce l’opinion publique, si facilement inflammable, s’est intéressée passionnément à ce qui se passait en Crète. Quelle que soit la sagesse du gouvernement du roi Georges, les instincts populaires sont difficiles à contenir lorsque la Crète est en ébullition ! Les pays voisins, dans l’incertitude de ce qui peut arriver, prennent aussitôt une attitude d’observation très attentive et même un peu tendue, et l’Europe tout entière ne peut pas se montrer indifférente à un état de choses où la moindre étincelle malencontreuse pourrait faire naître et propager l’incendie.

Toutefois cette situation ne devient vraiment périlleuse que si une grande puissance cherche à en profiter à l’exclusion des autres et à la faire servir à son intérêt particulier. Il est difficile que l’insurrection puisse se soutenir longtemps en Crète, à moins de recevoir quelque encouragement et quelque appui étrangers. On s’est demandé dès le début si le mouvement avait été parfaitement spontané, et dans certains pays, la presse a émis à ce sujet des doutes que rien, il faut le dire, n’est venu confirmer, ni alors ni depuis. Il ne semble pas que l’insurrection ait été le résultat d’un mot d’ordre du dehors. L’attitude de toutes les puissances sans exception a été correcte ; elle n’a d’ailleurs pas tardé à devenir uniforme, et à se traduire par des démarches collectives. Nous avons peut-être fait, nous avons peut-être dit quelques jours avant les autres ce que tous les autres ont dit et on fait presque aussitôt après nous, et, si l’on veut, presque en même temps que nous. Au reste, la conduite à suivre était indiquée par la nature même des choses. Il fallait, tout en adressant aux insurgés des paroles de modération, s’efforcer de dégager de leurs griefs ce qu’ils pouvaient avoir de légitime et en apporter l’expression à la Porte. Il fallait faire entendre en Grèce des conseils de circonspection et de réserve. Il fallait, avant tout, pourvoir à la sécurité de nos nationaux respectifs. C’est ce qui a été fait d’abord