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global de M. Doumer, elle y était toute prête. Elle l’a fait. La majorité n’a pas été considérable, elle s’est élevée à 29 voix ; mais si on ajoute ces 29 voix en moins aux 48 voix en plus que le projet avait eues à la fin de mars, c’est 77 voix que le projet d’impôt général sur le revenu a perdues en quelques semaines. Encore faut-il dire qu’un certain nombre de députés, liés par leur vote antérieur, n’ont pas osé reprendre tout de suite leur liberté. On a vu par les scrutins qui ont suivi que la véritable majorité gouvernementale était d’environ 90 voix. Le rejet du projet Doumer a permis à la Chambre de trancher la question politique au profit de M. Méline et du cabinet actuel. Il ne restait plus qu’à trouver un moyen d’ajourner une réforme qu’on n’avait plus aucun espoir de faire aboutir en ce moment : après la victoire que le gouvernement venait de remporter sur les radicaux, cela était devenu plus facile. Dès ce moment, tout le monde savait bien qu’on allait à la disjonction, c’est-à-dire à la mise de la réforme hors du budget, et qu’on voterait les quatre contributions des années précédentes. On n’y est pas allé de la manière la plus directe ni la plus simple ; on s’est embrouillé, on s’est égaré, on a fait un certain nombre de fausses manœuvres ; mais, finalement, on a atteint le but parce qu’il était devenu immanquable. Après quoi la Chambre s’est séparée.

C’est ce qu’elle avait de mieux à faire. Il faut pourtant avouer qu’il y a quelque chose de plus en plus décevant dans ce long effort parlementaire, mené avec tant de bruit, au milieu de tant de discours, de tant d’espérances confuses mais ardentes, pour arriver à un résultat purement négatif. Nous n’établissons aucune comparaison entre l’impôt global sur le revenu de M. Doumer et l’impôt par cédules, y compris la rente, de M. Cochery. Le second a servi à éliminer complètement le premier ; mais c’est le seul service qu’il ait rendu, et il semble bien que, de cette lutte où il a vaincu l’adversaire, il soit sorti lui-même épuisé. La Chambre ne désire revoir ni l’un ni l’autre systèmes, bien qu’elle ait voté une résolution par laquelle elle se promet à elle-même de reprendre le plus tôt possible le débat qu’elle s’est vue obligée d’interrompre. Au fond, son impuissance se manifeste de plus en plus. Elle a beau aborder successivement telle réforme, puis telle autre, les difficultés qu’elle rencontre sont toujours plus fortes que son intelligence politique et sa bonne volonté. Il y a dans la Chambre une majorité contre l’impôt global de M. Doumer ; mais peut-être y en a-t-il une aussi contre l’impôt à cédules de M. Cochery. La Chambre a paru successivement accepter soit l’un, soit l’autre, mais à la condition de ne pas en aborder les détails. Le jour où on les aborderait, la débandade serait générale. On verrait se produire, d’abord sur tel article, puis sur tel autre, les plus étranges coalitions. L’ajournement, que presque tout le monde désirait d’ailleurs, a été rendu inévitable par la rencontre, dans un même scrutin, des voix des socialistes, des