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là ce qui le distingue non seulement de Schopenhauer, mais aussi de Gobineau, qui, catholique par la croyance, reste païen par la pensée. D’aucuns ont reproché à Wagner son christianisme ; j’aime à croire qu’aux yeux de beaucoup, cette tendance de son esprit et ce besoin de son cœur ne sauraient rien retrancher de sa gloire.


II

C’est, comme je l’ai mentionné plus haut, du second séjour à Paris, ou même de plus tard, que datent la plupart des relations personnelles du maître avec des Français ; au contraire, les impressions générales et décisives qu’il dut à la France, remontent toutes, ou à peu près, à son premier séjour (1839-1842). Je l’ai dit : en arrivant pour la première fois à Paris, Wagner cherchait encore sa voie. La mobilité, l’extraordinaire impressionnabilité que garda toujours son esprit, traversaient, à cette époque, une phase suraiguë. Mais, ce qui donnait, alors, toute sa valeur à cette plasticité intellectuelle, c’était une expérience déjà mûrie, soutenue, d’ailleurs, par des connaissances musicales d’une rare étendue. En arrivant à Paris, Wagner n’avait que 26 ans, il est vrai, mais il y avait déjà treize ans qu’il écrivait des drames ; dix ans qu’il composait de la musique ; huit ans qu’il avait réduit la partition entière de la Neuvième Symphonie de Beethoven (pour piano à deux mains) et qu’il savait cette symphonie par cœur ; et, depuis six ans — d’abord comme directeur des chœurs à Würzbourg, puis comme chef d’orchestre à Magdebourg, Kœnigsberg, Riga — il avait dirigé l’exécution de nombreux opéras des diverses écoles : français, allemands, italiens. Marié depuis six ans, il s’était trouvé déjà plus d’une fois aux prises avec les difficultés de la vie. Enfin et surtout, il connaissait sa patrie allemande, de la Bavière à la Baltique… On le voit, s’il arrivait en France jeune et impressionnable, il y venait aussi en homme qui a déjà beaucoup pensé, beaucoup appris, beaucoup travaillé ; et dont le jugement sur les hommes et les choses s’est aiguisé dans la lutte pour l’existence.

Mais avant d’aller plus loin, nous ferons bien de distinguer entre l’impression que produisirent sur le maître, à Paris, la représentation d’œuvres dramatiques et l’exécution d’œuvres musicales, impression directe, exclusivement artistique et technique ; — et l’impression plus générale, d’ordre plutôt moral, que firent sur lui la vie et le caractère français. On ne saurait imaginer en effet deux impressions plus différentes, ni destinées à avoir des conséquences plus contraires.