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lutte, elle devient pour lui une préoccupation de plus au milieu de tant d’autres, une cause nouvelle de découragement. Le malheureux est obligé de faire deux parts de sa vie ; une pour elle, une pour la mission à laquelle il s’est voué. Ainsi maître Olaf reste seul dans la vie, n’ayant d’autre appui que sa conscience et la puissance de ses convictions.

Le roi hésite encore à le suivre. Il symbolise l’autorité du pouvoir, et le pouvoir est « toujours lent à percevoir la valeur de l’idée nouvelle, tout en la réalisant à son profit dès qu’elle s’est imposée. » Le peuple, lui, a d’abord acclamé Olaf. « Les masses sont ainsi faites, elles suivent docilement chaque nouveau meneur. » Mais ensuite, quand les prêtres ont eu le temps d’agir, la foule, oubliant ses premiers enthousiasmes, a ramassé des pierres pour lapider le prédicateur. Et Gerdt, l’anabaptiste, qui veut faire servir le mouvement de réforme religieuse à une révolte contre le roi, à une révolution sociale, prête d’abord son appui au réformateur ; mais c’est pour l’appeler ensuite apostat, parce qu’il se refuse à transformer en une attaque contre le roi le mouvement d’émancipation spirituelle auquel il travaille. Cependant Olaf reste fidèle, envers et contre tous, à son idée, et, grâce à sa persévérance, la vérité triomphe. Le roi se rallie ; le révolutionnaire se soumet, — en réservant l’avenir, — et le réformateur a gain de cause.

Il faut ajouter que les personnages de ce drame singulier ressemblent très peu aux personnages historiques dont ils portent les noms. M. Strindberg ne s’est évidemment guère soucié de la vérité historique. Qu’il ait choisi des caractères historiques pour leur faire exposer ses théories sociales, c’était son droit. Mais il va peut-être un peu loin et demande trop à notre crédulité en prenant des figures aussi connues, ayant joué un rôle aussi déterminé, et en leur faisant parler si ouvertement un langage qui n’a pu être le leur. Aussi bien, ce réformateur, qui doute lui-même de la vérité qu’il prêche, est-il non seulement en contradiction avec le caractère bien connu d’Olaus Pétri, avec sa vie et ses actes, mais il l’est encore avec la nature même de son rôle. M. Strindberg, qui croit la morale sociale perfectible, peut dire que la vérité d’aujourd’hui sera peut-être l’erreur de demain ; mais un tel langage, dans la bouche d’un prédicateur de la Réforme, est absolument invraisemblable.

Dans le développement des deux caractères féminins du drame : la mère et l’épouse, M. Strindberg a encore accentué son mépris de la femme. Elle ne saurait, à l’en croire, s’élever au-dessus d’un certain niveau d’intelligence et de dévouement. Mais,