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le cercle étroit de ses droits de mère », étouffer l’essor d’une grande œuvre. Tout en elle s’oppose à la mission de son fils. Elle est incapable d’apprécier la grandeur de cette mission, la valeur de l’œuvre d’émancipation que prépare Maître Olaf, et elle abuse de son autorité maternelle pour essayer de l’en détourner. Ramenant tout à sa propre raison, ne comprenant rien de son fils, pas plus sa doctrine que ses actions, elle traite le réformateur d’Antéchrist. À tous ses raisonnemens elle répond :

— Crois-tu que j’aie pu vivre toute ma vie d’un mensonge, d’une erreur ?

— Ce n’était pas une erreur, réplique Olaf : c’en est devenu une, comme peut-être un jour la vérité que je prêche en deviendra une, à son tour !

De même, lorsque la mère trouve son fils reconduisant la prostituée qui s’était réfugiée chez lui, et qu’il a arrachée à la fureur du peuple, elle recule d’horreur. Elle n’entend pas que c’est avec les paroles même du Christ que son fils congédie la malheureuse : « Va, et ne pèche plus. Les hommes ne te pardonneront pas, mais Dieu t’a pardonné ! » Plus tard, lorsque Christine est devenue la femme d’Olaf, la mère éprouve devant elle ce même sentiment de répulsion, et l’accable d’injures. Jusque sur son lit de mort, elle cherche à détourner son fils de sa mission, si bien qu’il s’écrie :

— Ma mère, ayez pitié de moi ! La prière d’une mère ferait abjurer sa foi à un ange du ciel. Mais je ne dois pas céder, je ne puis pas reculer !

Et la vérité triomphe par la désobéissance filiale.

Seule Christine, qui a vaincu le préjugé en épousant Olaf, le prêtre, et en le conduisant ainsi à la réalisation de la nouvelle morale, seule elle ose dire à la mère la vérité franche : — « De quel droit voulez-vous exiger de lui ce sacrifice ? Est-ce parce que vous lui avez donné la vie ? C’était simplement votre destinée. En l’accomplissant, vous avez rempli votre mission sur terre. La sienne commence là où finit la vôtre. N’enchaînez pas le présent au passé. » Mais Christine elle-même ne demeure pas longtemps à la hauteur de sa mission d’épouse, et devient vite un obstacle à l’œuvre du réformateur. Guidée par son amour, elle a d’abord semblé le comprendre et elle s’est sentie fière de combattre à ses côtés. Mais, plus tard, devant les réalités de la vie, maudite par la merci de son mari, traitée par le peuple en prostituée, elle faiblit, son esprit s’assombrit, elle doute d’elle-même et d’Olaf ; elle est jalouse des grandes idées qui absorbent l’apôtre et le séparent si entièrement d’elle ; au lieu d’une compagne, d’un soutien dans la