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LE ROMAN SUÉDOIS

II.[1]
AUGUSTE STRINDBERG

M. Auguste Strindberg est l’introducteur du naturalisme en Suède. Lui-même n’est, cependant, naturaliste qu’à demi. Naturaliste, il l’est assurément par la crudité de ses images, par son habitude de subordonner les faits moraux aux lois qui régissent les phénomènes physiques. Mais il s’écarte nettement de la formule naturaliste par son goût pour les idées abstraites et les raisonnemens philosophiques. Les personnages de ses livres parlent et agissent au nom de l’auteur, quand ils ne sont pas l’auteur lui-même. Des sensations ; — et des théories, des aperçus généraux encadrés de polémiques particulières, voilà le fond de l’œuvre de M. Strindberg. Il est avant tout frondeur, iconoclaste, réformateur de l’univers ; et l’on voit bien qu’il tient à ce que l’on reconnaisse que la voix qui tonne derrière ses personnages est une voix autorisée, dont la grande prétention est de dire leur fait aux puissans, depuis Dieu jusqu’aux autorités terrestres, du haut en bas de la hiérarchie. M. Strindberg, en effet, n’est pas de ceux qui ne se vengent de Dieu que par un froid silence, et il le rend hautement responsable de la guerre acharnée de la nature contre elle-même. Aussi tout ce que le naturalisme classe d’ordinaire sous le nom de mysticisme et laisse à dessein de côté devient-il pour le naturaliste suédois un objet de haine personnelle. De plus, s’il est pessimiste et sceptique, il est rarement fataliste. Ses

  1. Voyez la Revue du 15 juin.