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Dira-t-on que le cautionnement est tout simplement nécessaire pour assurer l’exécution des condamnations pécuniaires ? M. Guizot soutenait ainsi cette théorie : « Partout où la société a reconnu le fait d’une puissance capable de lui causer de grands dommages contre lesquels les menaces et les châtimens des lois pénales n’étaient pas de nature à lutter avec succès, elle a exigé de ceux qui prenaient en main cette puissance des garanties particulières. Ainsi, les médecins, les avocats, les notaires sont autant d’exemples de cette vérité. » Mais la confusion n’est-elle pas évidente ? La société exige fort légitimement du médecin ou de l’avocat un diplôme, mais elle ne s’arroge pas pour cela le droit de l’obliger à fournir caution qu’il ne tuera pas ses malades, ou ne fera pas condamner ses cliens ! En ce qui nous concerne, nous rejetons l’idée de cautionnement, ainsi que toute mesure qui, de près ou de loin, se rattache au système préventif, et constitue une entrave quelconque au droit d’écrire, de penser et de publier.

Mais si les propriétaires du journal n’ont pas à fournir de cautionnement, il ne s’ensuit pas qu’ils doivent échapper aux responsabilités que nous avons définies ! Avant tout, obligeons ces propriétaires à se faire connaître. D’après le projet de la commission qui a préparé la loi de 1881, la déclaration d’un journal devait énoncer « le nom et la demeure du propriétaire ». Cette disposition a été supprimée sans discussion par le Sénat. Or au même moment, le Parlement du Royaume-Uni adoptait une loi tendant à la fois à « mettre les propriétaires de journaux à l’abri de poursuites criminelles non justifiées » et « à rendre effective la responsabilité de ces propriétaires en assurant l’enregistrement exact et régulier de leurs noms, adresses et qualités[1]. »

Il faut arriver dans notre pays à des mesures analogues. Nous n’irons pas aussi loin qu’aux Etats-Unis ou en Angleterre, où le régime de la presse est tout entier établi sur le principe de la responsabilité pénale des propriétaires. Mais nous trouvons légitime et nécessaire de prescrire l’enregistrement au parquet du nom de ces propriétaires, et d’exiger des justifications de leurs titres et qualités. Toute fausse déclaration devra être sévèrement punie.

  1. Odgers ; Digest of the law of libel (loi du 27 août 1881). En vertu de cette loi, un registre public des propriétaires de journaux est établi dans un des bureaux de Somerset-house. Chaque année, au mois de juillet, los propriétaires doivent renouveler la déclaration de leur nom, de leurs occupations, de leur domicile d’affaires et de leur résidence. Tout individu, mis en cause par un journal, peut se rendre à Somerset-house, et, moyennant un shilling, il obtient aussitôt les renseignemens ci-dessus.