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du journal ainsi que l’auteur de l’article sont hors d’atteinte. Qui donc paierait ?

Mais, objectera-t-on, le journal a un propriétaire ; ce propriétaire, individu ou société, devra payer. Il n’en est rien. Le gérant a été condamné en son nom personnel ; les condamnations qu’il a encourues lui sont personnelles, et ne peuvent être exécutées contre le propriétaire. Voilà donc un journal qui diffame, injurie, encaisse les bénéfices, et les propriétaires, le directeur, l’auteur anonyme sont également dispensés, non seulement de faire la prison, mais encore de payer le dommage !

Qui donc paiera, demandions-nous ? Ce sera, quant aux frais, le plaignant, le diffamé, même s’il a gagné son procès !


Hé quoi donc ! les battus, ma foi, paieront l’amende !


Il faut reconnaître pourtant que l’irresponsabilité totale des propriétaires du journal, trop souvent consacrée dans les faits, n’est pas inscrite dans la loi. Il y a dans la loi de 1881 un article 44 d’après lequel, au point de vue des condamnations pécuniaires prononcées contre les gérans ou les auteurs, les propriétaires sont responsables « conformément aux règles du Code civil ». Mais, pour qui connaît la pratique, ces mots, « conformément aux règles du Code civil », ont pour effet de rendre la responsabilité si difficile à établir qu’elle devient, en beaucoup de cas, illusoire. On n’a pas voulu créer une responsabilité absolue, et le propriétaire ne répond des condamnations du gérant que comme un commettant quelconque répond des fautes de son préposé. Il faut donc, pour obtenir une condamnation pécuniaire contre le propriétaire du journal, soit lui intenter un procès séparé devant le Tribunal civil, soit le mettre en cause personnellement devant le tribunal de répression, et réussir à faire contre lui une preuve souvent délicate.

De plus, il est une circonstance qui rend tout spécialement difficile au plaignant de mettre en cause le propriétaire : c’est que généralement il ne le connaît pas ! Pour parvenir à le découvrir, il faut faire une enquête souvent peu aisée, dans laquelle le parquet pourrait réussir, mais où les investigations d’un particulier sont entravées par les plus grands obstacles.

Tel est, dans ses traits généraux, le système actuel, que l’on peut appeler le système des responsabilités fictives. Comment y substituer le système des responsabilités réelles ?

Il suffirait pour cela, selon nous, de renoncer à l’institution actuelle de la gérance et de rechercher les publicateurs réels en s’appuyant sur ce principe fondamental de notre droit : que ce qui