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nation ne veut pas, par respect pour elle-même et pour le salut des accusés, en même temps que pour la dignité de la justice, imposer des limites au goût effréné de l’information.

Cependant, sur ce point encore, l’impuissance du législateur n’est pas complète. Un texte bien inutile de la loi de 1881, l’article 38, interdit de publier les « actes d’accusation et tous autres actes de procédure criminelle avant qu’ils aient été lus en audience publique. » C’est exactement le contraire qu’il aurait fallu édicter. La publication des actes de la procédure, qui sont des documens sérieux, reposant sur des bases légales, serait d’un effet moins fâcheux que celle de toutes les informations, fantaisistes ou mensongères, assaisonnées de commentaires passionnés dont les journaux sont souvent remplis. Nous pensons donc, avec M. G. Barbier, qu’il eût été plus logique d’interdire avant l’audience « toutes publications autres que celles qui se borneraient à reproduire ou à résumer fidèlement, sans commentaire, les documens de l’instruction. »

Si cette prescription était obéie, nos jurés aborderaient d’un esprit plus calme, et plus dégagé d’idées préconçues, cette audience, dans laquelle nous voudrions maintenant les placer en face des vrais coupables.


XIV

Il est clair que la première et indispensable condition pour rendre une bonne justice est d’avoir sous les yeux la personne réellement coupable de l’infraction poursuivie… Cela paraît si évident, et la situation créée par la responsabilité fictive du gérant est si bizarre aux yeux des personnes étrangères aux subtilités juridiques qu’il faut expliquer en quelques mots la base légale de cet état de choses.

L’idée sur laquelle repose notre législation de la presse est contenue dans cet axiome : « C’est la publication qui fait le délit. » Cette idée est juste en tant que le délit de presse ne peut se concevoir sans publication. Mais la vraie question est celle de savoir quel est le « publicateur véritable » et c’est cette question que la loi actuelle, à notre avis, résout fort mal. D’après elle, le « publicateur » est une certaine personne dévouée par avance à ce rôle ingrat, connue du Parquet, tenue d’apposer sa signature sur chaque numéro du journal et que l’on nomme le « gérant » bien qu’elle soit, comme l’on sait, presque toujours étrangère à la « gestion » du journal. Ce gérant est si bien aux yeux de la loi l’auteur principal du délit de presse, que l’écrivain qui a créé le corps du délit, qui a écrit l’article incriminé, n’est