Cet homme est honoré des puissances secrètes.
Lui mort, à ses beaux lacs, romantiques retraites,
Des pèlerins viendront, penseurs religieux.
Et ils y sont venus en effet, mais rarement de France. En plein romantisme, le poète des lacs n’a eu chez nous que des admirateurs un peu trop respectueux, et qui le vénéraient de loin. Il n’a même pas trouvé de traducteur : une traduction, annoncée par Fontancy pour la Bibliothèque anglo-française, n’a jamais paru, que je sache ; et ce n’est peut-être pas une compensation suffisante pour Wordswortlh que, bien avant M. Jean Aicard, Mme Amable Tastu ait mis en vers français la jolie pièce : We are Seven.
Ainsi l’influence du lakisme sur l’école romantique française, influence que certains critiques ont admise un peu vite, se réduit à très peu de chose, et, ce qui a le plus nui aux lakists, ç’a été justement ce que Philarète Chasles signalait comme leur « qualité intime et souveraine », — la foi. Le romantisme a été partout en Europe un mouvement à la fois moral et artistique ; mais il a été surtout une question d’art pour un Chateaubriand, pour un Hugo, même pour un Lamartine, tandis que pour un Wordsworth il a été avant tout, — je ne dis pas exclusivement, — un réveil moral. Et c’est ce que sentait bien le grand sceptique, l’ironique Byron quand, voulant tuer dans l’œuf cette philosophie de poète, il assénait à l’innocente ce coup de massue :
He who understands it would be able
To add a story to the Tower of Babel.
L’anathème de Don Juan a pesé sur le religieux optimisme de Wordsworth, et la France a cru Byron sur parole. Elle a réduit l’auteur du Prélude au rang modeste de poète du foyer et de l’enfance. Elle a superbement ignoré le penseur, ou elle l’a renvoyé à la Tour de Babel. Un Théophile Gautier a pu écrire, sans sourciller :
Je n’ai jamais rien lu de Wordsworth, le poète
Dont parle lord Byron d’un ton si plein de fiel,
Qu’un seul vers : le voici, car je l’ai dans la tête,
Clochers silencieux montrant du doigt le ciel.
C’est le vers connu :
Spires whose silent finger points to heaven
Et encore, ce vers « frais et pieux, » Gautier l’avait-il trouvé dans un roman libertin :
C’était comme une fleur des champs, comme une plume
De colombe, tombée au cœur d’un bourbier noir.