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table ? Et au fait, de quoi se plaindrait-il donc ? S’il était méconnu, passe encore. Mais il est célèbre, mais il est confit dans la gloire. Qu’il y reste !

Je souhaite à William Wordsworth, — une de ces victimes de génie, — de bénéficier en France du remarquable livre que vient de lui consacrer M. Emile Legouis, et de passer tout au moins, de la classe des poètes célèbres et incompris, à celle des poètes fameux et à demi connus, de l’obscurité au crépuscule : car de lui souhaiter tout de suite le grand jour, ce serait peut-être s’aventurer beaucoup. Et cependant les Lakists, dont il est le chef avéré, sont fameux chez nous depuis le romantisme, et ils ont retrouvé, dans ces dernières années, un regain de faveur. Voilà quinze ans qu’Edmond Scherer consacrait à Wordsworth une étude qui fit quelque bruit. En voilà à peu près autant que M. Paul Bourget montrait aux fervens le chemin des lacs du Cumberland et que, glissant sur les eaux de la baie de Pull Wike, il évoquait, dans ce paysage que les Lakists ont aimé, l’Ange du Silence :


Des profondeurs du lac immobile s’élève,
Vague et flottant parmi les pointes des roseaux,
Comme un être tissé de vapeur et de rêve…
— Et l’Ange du Silence apparaît sur les eaux.
Il vient dans la tendresse et la lenteur de l’heure…


D’autres critiques ont suivi M. Paul Bourget : M. Gabriel Sarrazin, M. Angellier, — dans un beau chapitre de son étude sur la vie et les œuvres de Robert Burns, — M. James Darmesteter, dans une étude réimprimée tout récemment parmi d’autres essais de littérature anglaise. Ont-ils gagné à Wordsworth beaucoup de lecteurs chez nous ? J’avoue que j’en doute fort.

Et dès lors une question se pose : D’où vient cette impopularité relative d’un des plus grands poètes de ce siècle ? Est-ce un malencontreux hasard ? Est-ce un malentendu ? Est-ce entre le génie de Wordsworth et notre goût français, un irrémédiable divorce ? À cette question, la belle étude de M. Emile Legouis sur la jeunesse du poète va nous donner une première réponse.


I

Parmi beaucoup de causes qui nous ont empochés de bien comprendre Wordsworth, il y en a une qui frappe d’abord ; et c’est la personnalité même du poète.

Il ne faut pas se le dissimuler : Wordsworth a contre lui d’avoir